Un jour, le cancer s’est invité dans ma vie. Je ne lui avais rien demandé, mais il est venu et s’est installé. Je dois l’admettre, même s’il a pas mal saccagé, il m’a aussi aidé à faire un peu de ménage dans mon existence. Mais tout a une fin: il n’est plus le bienvenu. J’avais envie de le lui écrire.
Mon cher cancer,
Tu as fait irruption dans ma vie il y presque cinq ans. La date exacte importe peu. Et puis, laquelle prendrait-on? Celle où j’ai commencé à réaliser qu’un truc ne tournait pas rond? Ou bien ce moment horrible quand le gastro-entérologue m’a annoncé que j’avais “une petite lésion cancéreuse”?
“Petite”, je te jure. J’ai vu les chiffres: quand tu as débarqué, tu n’as pas fait les choses à moitié. Déjà, le nom: adénocarcinome d’emblée métastatique. Ca sent déjà le sapin. En clair, la tumeur colorectale était là, et bien là: 7 centimètres de diamètres, la gueuse. Et en plus elle était venue “d’emblée » avec ses petites potes les métastases hépatiques. En fait, quand je lis les premiers rapports de l’époque, je me rends compte que j’étais solidement dans le déni. Les 7 centimètres, je n’avais pas imprimé. Pas plus que le “d’emblée métastatique”. J’avais juste capté qu’il y avait des métastases dites “synchrones”, mais pas que tu t’étais d’emblée étendu. Ca fait un peu penser au sketch de Dieudonné sur le cancer.
Ouh là, c’est quoi ces résultats? On va bronzer ici.
Alors…. Ta ta ta ta ta taaaa. Foutu. FOUTU. Bon!
Bon, on ne va pas non plus s’étendre sur la genèse de la maladie, ce n’est pas le sujet. Revenons à nos moutons.
Electrochoc salutaire
D’une certaine manière, tu m’as beaucoup aidé, et je voulais t’en remercier. Ton arrivée dans ma vie, et avec elle, cette terrible angoisse de mourir, a agi comme un électrochoc. Au cours de la première année, celle du traitement de la tumeur et des métastases, j’ai découvert en moi des trésors de volonté et de résilience. Au départ, je suis plutôt du genre angoissé. J’ai fait des années de psychothérapie pour m’en sortir. Et là, face à ce truc énorme, je suis resté zen. Concentré sur l’envie de m’en sortir, mais pas seulement. J’ai réussi à garder ma boîte plus ou moins à flot avec l’aide précieuse de Lise, mon unique employée, et de Lucie et Pavlos, mes stagiaires. J’ai même passé mon permis moto! J’ai aussi commencé à travailler sur mes plus gros blocages, les trucs que je n’avais pas encore réussi à résoudre. L’un dans l’autre, une année incroyable.
L’année suivante fut à la fois l’année de la guérison et de la récidive. J’ai continué à garder cette envie de vivre. Et plus que jamais, j’avais en moi cette volonté de me servir de ta présence comme d’un gros levier ou d’une barre à mine, pour déplacer, débloquer tout ce qui “calait”, pour devenir une meilleure version de moi-même. Et ça a réussi. Je suis aujourd’hui plus serein, plus organisé, plus attentif à mon bien-être et à celui des miens, plus enclin à profiter du moment présent. Plus indulgent envers mes faiblesses et mes difficultés. J’ai appris à restreindre mes activités, à faire moins de choses plus à fond, à fixer mes priorités et à m’y tenir. Énormément de choses positives, en fait.
Merci, et au revoir
Mais je réalise aujourd’hui qu’il y a une chose que je n’ai pas faite. Une chose fondamentale, pourtant. Une réaction que j’aurais dû avoir: la révolte. Tu étais là, je ne voyais pas pourquoi ou comment refuser cette évidence. Je ne voyais pas trop en quoi te dire “tu n’es pas le bienvenu ici, va-t-en” allait changer quelque chose. Sans doute mon côté fataliste. J’ai souvent espéré que tu t’en ailles. Ca a même failli arriver, en juillet 2021. Puis, tu as décidé de muter et on est repartis pour un tour.
Il faut bien me rendre à l’évidence: tant que je ne te dirai pas clairement les choses, tu continueras à jouer les hôtes indésirables. Et pourtant, comme disent les anglo-saxons, “you’ve oustayed your welcome”. Alors voilà, que les choses soient claires, mon cher cancer. Quand tu es arrivé, je t’ai accueilli tel que tu étais, avec les bons et les mauvais côtés. Et plus de mauvais côtés que de bons. Tu m’as empoisonné la vie, mais en retour, tu m’as aidé à grandir. Mais tu abuses. Mon hospitalité a des limites. Désormais, tu n’es plus le bienvenu.