Les événements autour de moi et ma propre actualité m’amènent aujourd’hui à m’interroger sur un sujet difficile. Tabou, même: l’échec des traitements et la mort.

Je vous rassure d’entrée de jeu, je n’en suis pas encore là. Mais je mentirais si je ne reconnaissais pas que la question se pose avec de plus en plus d’acuité. 

Aujourd’hui, je voulais commencer par vous parler de mon ami Pascal. Pascal, je l’ai connu il y a 25 ans. On faisait partie de la même petite bande joyeuse qui avait sa petite tradition du vendredi soir: quelques verres au Cirio (à côté de la Bourse), puis sortie à la soirée “années 80” du défunt Garage (rue Duquesnoy, pour ceux qui se souviennent), puis fin de nuit dans l’ambiance jungle de la Planète Claire. La vie a fait que chacun est parti de son côté, mais sans animosité aucune, juste parce que la vie, quoi. 

Fred? Mais qu’est-ce que tu fous ici?

Bon, je romantise un peu, parce qu’il faut bien maquiller un peu les aspects glauques de la vérité. J’ai retrouvé Pascal il y a deux ans dans la salle d’attente de l’Unité de Traitement Ambulatoire de l’hôpital Erasme. UTA pour les intimes. C’est là qu’on injecte leur chimio aux malades du cancer. On s’est reconnus, on s’est parlé tout de suite, avec cette affection qui renaît immédiatement pour les personnes qu’on aimait et qu’on a perdues de vue. Il avait un cancer du pancréas. Moi, c’était le côlon. Il a salement dégusté, le pauvre. Les cancers du pancréas, c’est vraiment une crasse. On se recroissait régulièrement, on se parlait sur Facebook, on se disait qu’un de ces jours on se ferait un lunch. “Quand on irait mieux”. Pascal n’est jamais allé mieux.

La dernière fois que je l’ai vu, il venait de subir une autre opération. Il était optimiste, mais il n’avait plus de voix. Il avait maigri, il avait l’air fatigué. Ca m’a fait mal. On a encore parlé quelques fois sur Facebook, mais je suis entré dans mon propre tourbillon d’emmerdes de santé. Aujourd’hui, une des infirmières de l’UTA me dit “J’ose à peine vous le demander, mais je sais que vous le connaissiez. Ca fait longtemps qu’on n’a pas vu votre ami Pascal. Il va bien?” La question me taraudait aussi depuis quelques semaines. J’attrape mon ordinateur (je bosse pour passer le temps pendant la chimio). Plus de compte Facebook. Et la recherche Google m’emmène directement sur son éloge funèbre sur la page de son employeur. Pascal nous a quittés sur la pointe des pieds. On ne fera jamais ce lunch, parce qu’il n’est jamais allé mieux, et que j’ai été trop optimiste. Aujourd’hui, je me sens triste, pas seulement parce qu’il n’est plus là, mais aussi parce que je regrette la lâcheté que j’ai eue à ne pas prendre plus souvent de ses nouvelles. J’aurais voulu pouvoir lui dire toute mon affection. Et puis surtout, parce que je ne sais pas ce qui a pu lui passer par la tête. Quand a-t-il appris que c’était foutu? Comment a-t-il réagi. Comment sait-on que c’est foutu, d’ailleurs?

Foutu ou pas?

Bien sûr, il y a les cas où on le sait d’emblée. Les cancers du pancréas, par exemple. On peut s’en sortir, mais c’est loin d’être le plus courant. Les glioblastomes. Je ne vais pas dresser la liste, mais bon, il y a des cancers qui “puent” plus que d’autres. Des stades aussi. Moi avec mon stade IV au moment du diagnostic, on ne peut pas dire que c’était gagné d’emblée. 30% de chances de survie à 5 ans. Je blague toujours en disant “allez, plus qu’un an et demie et c’est bon, je suis tiré d’affaire”. Mais bon, je sais bien que c’est de la blague. La réalité est plus dure. 

Aujourd’hui, je me suis pris à nouveau une mauvaise nouvelle dans la tronche. Le troisième protocole de chimiothérapie qu’on essaie depuis le début de ma récidive a cessé de fonctionner. Les cellules de mes métastases ont muté et elles sont désormais insensibles à ses arguments. On attaque la quatrième “ligne”. Après ça, il y en a encore une. Et puis c’est le saut dans l’inconnu. 

Alors oui, foutu ou pas, ça commence à se poser comme question. Mon oncologue refuse tout pessimisme. Mais bon, elle refuse tout optimise aussi, donc ça me fait une belle jambe. Et puis elle ne va pas me dire “ouais, bon, c’est niqué, tu peux faire ton testament” (elle ne parle pas comme ça dans la vraie vie hein) alors qu’il reste encore des traitements. 

Mais la question se pose. À partir de quel moment on sait que c’est mort? Quand est-ce qu’on lâche la rampe? Est-ce que ça arrive d’abord dans la tête et puis dans les résultats d’analyse ou l’inverse? Quand est-ce qu’on arrête de se battre. Autant de questions auxquelles je n’ai pas de réponse. Et rien que le fait de les poser me fait peur. 

 

 

P.S. Adieu, Pascal. Si il y a quelque chose après la mort, je te promets de t’y chercher. Et quand je t’aurai trouvé, on ira dans un bar cosy de l’au-delà pour boire un “half en half”, comme au bon vieux temps de notre insouciance.