Le combat contre le crabe est souvent long, toujours pénible. Lorsqu’il s’éternise, n’oublie pas que le passé peut aussi être une source où puiser de nouvelles forces.
Les traitements contre le cancer – en particulier la chimiothérapie – sont longs et frustrants. Dans mon cas, par exemple, j’ai droit à une séance d’injection toutes les deux semaines. Récemment, je me suis réjoui, parce qu’il ne fallait “que” trois séances avant de pouvoir faire un scanner et une prise de sang pour voir si la nouvelle chimiothérapie “prenait”. Trois séances, si tu comptes, ça fait un mois et demi. On va dire deux mois, puisque c’est après la troisième séance qu’on commence les tests. Mais j’étais content, parce que deux mois, c’était plus court que les deux mois et demi à trois mois de mes précédentes chimios. Tout ça pour dire, donc, que le temps est long. Surtout quand, comme dans mon cas, ça s’éternise à cause de chimios qui ne fonctionnent pas.
Petit résumé
Dans mon cas, donc, ma récidive a été diagnostiquée quelque part vers la fin du mois de septembre 2019, après 9 mois de répit. Mon cancer avait été diagnostiqué en 2018, et j’ai passé toute cette année entre opérations, chimiothérapie et séances de radiothérapie. J’ai pu reprendre une vie (presque) normale juste avant la Noël 2018. Fin septembre 2019, donc, coup de tonnerre: les métastases sont de retour, cette fois aux poumons et dans les ganglions lymphatiques de la paroi abdominale. Impossible d’opérer, il y en a trop, de ces petites saloperies. Du coup, PAF, re-chimio.
Au début, ça a marché. En avril 2020, je faisais péter le champagne pour fêter la défaite du crabe. Bon, ce con est revenu au premier contrôle. Du coup, fin juillet, on était repartis pour la chimio. Sauf que… cette chimio de m… n’a pas marché. Comme le temps est long en chimio, il a fallu près de trois mois pour s’en rendre compte. Changement de protocole, c’est reparti pour un tour. Un petit faux espoir – des marqueurs repartis à la baisse – et puis une nouvelle évidence: marche pas non plus. Du coup, re-re-belote, changement de protocole. Ca, c’était en février 2021.
Côté positif: la nouvelle chimio est plus “ciblée” que les précédentes. Il s’agit d’un traitement qui vise à inhiber les récepteurs du facteur de croissance. En clair, ça veut dire que les molécules du traitement viennent “bloquer” les récepteurs qui permettent aux cellules cancéreuses de percevoir les signaux de l’organisme qui leur disent de croître et de se multiplier (comme dans la Bible). Ben oui, l’organisme diffuse ce signal à large échelle, et les cellules saines comme les cellules cancéreuses le captent. Enfin, plus les cellules cancéreuses, ha ha. Du coup, ces petites putes (si si, je me permets) ne savent plus qu’elles doivent grandir et se diviser, les connes. Alors elles ne font rien et finissent par mourir bêtement toutes seules. Bien fait. Bon, comme on n’a rien sans rien, il y a des effets secondaires quand même, parce que les cellules de la peau ont les mêmes récepteurs. Du coup, elles morflent aussi, les pauvres petites, et ma peau ne va pas très bien.
Mais malgré ces petits inconvénients, il faut bien dire que ce nouveau traitement est vachement plus “doux” pour le reste de l’organisme. Les chimios à “large spectre” dont je bénéficiais auparavant, c’était un peu l’équivalent du napalm au Vietnam. On arrose toutes les cellules qui grandissent vite, les saines comme les cancéreuses (c’est une de leurs caractéristiques), et on espère que les cancéreuses meurent avant les saines (ben oui, sinon le patient meurt). Tout l’organisme prend cher, et ça se traduit par un affaiblissement progressif. En clair, tu te transformes en larve: les réveils sont de plus en plus pénibles, et tu n’as plus aucune énergie pour quoi que ce soit. Même pour bosser, certains jours. Car oui, je suis indépendant, et donc je bosse toujours. Ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi, je l’ai déjà dit sur ce blog.
Retour vers le passé
En attendant, évidemment, et même si le nouveau traitement semble porter ses fruits (youpie!), le temps commence à devenir long. De septembre 2019 à aujourd’hui, chimio tout le temps avec à peine deux mois de “pause”, c’est-à-dire beaucoup trop peu pour éliminer toutes ces toxines accumulées. La joie d’avoir enfin un traitement qui marche m’a évidemment donné un coup de boost au moral.
Mais surtout, il m’est arrivé un truc de dingue.
Enfin, de dingue, n’exagérons rien. Disons que là, ça va faire 5 mois que je n’ai plus reçu de Folfox-Avastin, le deuxième traitement “napalm” qui n’avait pas fonctionné. Et le miracle des organismes vivants se produit: petit à petit, les effets secondaires s’estompent. Dans mon cas, ça s’est traduit par un regain d’énergie progressif (et aussi une baisse régulière de ma tension artérielle).
Et du coup, en ce moment, quand j’ai un coup de mou, je regarde d’où je viens. Et je me rends compte que ça fait un moment que je ne l’ai pas fait. Et ça me donne beaucoup de courage. Parce que quand je me dis que j’en suis à plus d’un an et demi de traitement et que j’ai réussi à tenir le coup sans me transformer complètement en limace amorphe, ça me fait du bien. Parce que je me dis que malgré toutes ces épreuves, je suis fort et j’ai de la volonté. Que j’ai serré les dents tout ce temps et continué à avancer. Que si le traitement n’est pas fini, j’ai en tout cas une pause bien méritée dans une partie des effets secondaires. Que quand j’ai commencé ce parcours du combattant, les statistiques me donnaient 30% de chances d’être encore en vie en 2023, et que là on est en 2021 et que je suis toujours là. Qu’en plus, plus le temps passe, plus mes chances d’être réellement là en 2023 s’améliorent. Que j’ai quand même, en trois ans, résisté à 3 opérations sous anesthésie générale, 3 opérations sous anesthésie locale, 12 séances de rayon, près de 40 séances de chimiothérapie, et que je suis toujours debout pour parler, rire et m’amuser.
Alors regarde, regarde un peu*
Alors, mon frère, ma soeur en cancer, ou toi, proche d’un ou d’une cancéreuse, quand ça ne va plus, arrête-toi. Arrête-toi et regarde le chemin parcouru. Regarde tout ce que tu as eu la force d’affronter. Regarde comme tu es une personne incroyable. Tu le sais, tous les cancéreux le savent, c’est une putain d’épreuve. Tu n’en es pas encore sorti(e) et moi non plus. Mais tu es toujours là. Tu t’accroches. Tu résistes (apportant par là la preuve de ton existence**). Tu tiens le coup, comme tu tiens le coup depuis des semaines, des mois, peut-être des années. Tu es toujours en vie. Et même si les effets secondaires te mènent la vie dure, tu es là et tu continues. Ne te décourage pas. Ne désespère pas. Et même si la mort est au bout du voyage, tu auras été une personne admirable. Tu auras éclairé les vies autour de toi avec ta lumière. Et si la guérison est au bout du chemin, tu sais comme moi que cette épreuve aura fait de toi une personne meilleure, plus consciente du cadeau merveilleux qu’est la vie. Tu vois, il y a tant de raisons de continuer. N’oublie jamais ta force.
*Oui, c’est du Patrick Bruel. Je fais des allusions à qui je veux. Même à Hitler et au Grand Jojo (ça va venir, vous inquiétez pas). C’est mon blog, et en plus j’ai un cancer alors je peux. Na!
** Oui, c’est du France Gall et j’ai un humour de merde. J’assume.