Le mois prochain, ça fera un an que j’ai appris que mon cancer est incurable, sauf retournement de situation de dernière minute. Si tu es dans mon cas, soeur ou frère en cancer, ou si tu es proche de malade, j’espère que mes réflexions pourront t’aider.

Comme je l’expliquais dans un précédent article, je suis désormais passé de ce qu’on appelle les chimios “curatives”, qui ont donc vocation à guérir, aux chimios “palliatives”. Ces dernières ont pour fonction d’arrêter la progression de la maladie, ou au moins de la ralentir. Voilà pour le contexte général. 

C’est une situation psychologiquement et émotionnellement très inconfortable, car elle présente plusieurs problèmes insurmontables avec lesquels il me faut désormais “apprendre à vivre”.  

L’incertitude à son paroxysme

Pour commencer, il y a une nouvelle sorte d’incertitude. Je “sais” désormais que je vais mourir. Petite parenthèse, je t’arrête tout de suite: plein de gens m’ont déjà  dit et répété des centaines de fois “on va tous mourir”. Oui, sauf que dans mon cas, l’espérance de vie est nettement plus basse. C’est purement statistique.

Je sais que je vais mourir, mais je ne sais pas quand et il n’y a aucun moyen de l’estimer. Tout va dépendre d’une chiée de facteurs plus ou moins incontrôlables:

– la virulence de la maladie: je sais déjà que le cancer qui m’a envahi est un vilain petit chimiorésistant . Ce qui veut dire que les cellules “mutent” assez rapidement et que les nouvelles mutations qui résistent à la chimio remplacent celles qui n’y résistent pas, ce qui fait qu’au bout d’un moment les métastases se remettent joyeusement à croître. Heureusement, pas encore à se multiplier. C’est déjà ça de pris. Les études cliniques sur certaines thérapies que j’ai suivies ne sont guère éclairantes. Comme on parle de chimios palliatives, elles sont logiquement testées sur des patients condamnés à brève échéance. Ce ne serait pas très éthique de filer des placebo à des gens qui ont encore une chance de s’en sortir. Mais donc, la lecture des statistiques publiées n’est guère encourageante: on parle de quelques mois de rab tout au plus. Mais c’est par rapport à des condamnés, donc ça ne veut rien dire. C’est sûr que si un type sous placebo meurt en moyenne après 4 mois mais qu’un type sous médication survit quelques mois de plus, c’est un médicament efficace pour prolonger la vie. De combien quand on n’est pas encore au dernier stade? Mystère et boule de gomme. Les stats finiront sans doute par arriver, mais pas sur des études en double aveugle, ce ne serait pas éthique. 

– le placement des métastases: dans mon cas, on sait qu’elles sont à des endroits qui ne seront pas gênants avant qu’elles n’aient vraiment beaucoup grossi. Et elles seront plus gênantes (dans un premier temps) par leur taille que par leur effet sur mon métabolisme. Après, si d’autres finissent par apparaître, ça changera bien sûr la donne. 

– la résistance générale de mon organisme. Quand j’ai regardé les études sur mon cas au début (cancer colorectal au stade IV, c’est-à-dire avec présence au moment du diagnostic de métastases dans un autre organe), mes statistiques de survie à 5 ans n’étaient pas glorieuses: 30% de chances de passer ce cap. Là, il n’y a plus que quelques mois avant cet anniversaire. J’ai donc un organisme plutôt bien équipé, ça devrait jouer en ma faveur. 

– les progrès de la médecine: il y a tout le temps de nouvelles molécules, de nouveaux essais cliniques, donc il est permis d’espérer que je puisse entrer dans un de ces essais. Bon, c’est parfois aussi difficile que pour un chameau de passer dans le chas d’une aiguille, car les critères de “recrutement” dans les essais cliniques sont drastiques: il faut avoir le bon type de cancer, avec les bonnes mutations, une maladie qui est au stade idoine, existe depuis un temps déterminé… 

– mon état de santé général: c’est plus ou moins le seul truc que je contrôle. J’ai fait un bon gros régime et je me suis remis (très doucement) au sport, donc je fais ce que je peux pour améliorer la situation. Idem pour les choix alimentaires: j’adapte mon alimentation pour qu’elle soit aussi saine que possible (sans pour autant me priver de petits plaisirs, celles et ceux qui me connaissent savent mon amour des restaus). 

Savoir que tu vas mourir, mais ne pas savoir quand, je ne te raconte pas l’angoisse…

 

Un putain d’équilibriste

Donc, du coup, je suis dans un rôle permanent d’équilibriste. Trouver le juste milieu est loin d’être évident: difficile de ne pas penser en permanence à cette sentence de mort, mais c’est pourtant indispensable pour rester du côté de la vie. Garder l’espoir, faire des projets comme si j’allais encore vivre longtemps, choisir de croire que je vais m’en sortir ou que l’échéance sera lointaine, lointaine. Refuser la rumination. Mais les pensées morbides, ça ne se nie pas. Je dois apprendre à les accepter, à les accueillir, à les aimer pour l’urgence qu’elles instillent en moi chaque jour. Mais sans les laisser prendre le dessus. C’est un putain de travail, et je suis sûr que je ne suis pas le seul patient “mal embarqué” à lutter ainsi. 

J’ai décidé de documenter aussi cette lutte, parce que c’est essentiel. J’ai appris la mort d’un de mes amis par les infirmières du service il y a un peu plus d’un an. J’ai été tellement triste qu’il ne m’ait rien dit la dernière fois qu’on s’est vus. Je pense qu’il savait déjà que c’était foutu. Mais il y a une pudeur, une volonté de ne pas en parler, qui est difficile à surmonter pour beaucoup. Et même pour moi, je m’en rends compte. Alors, si tu es dans le cas ou si un de tes proches (ou moins proche l’est), peut-être que ceci t’ouvrira une fenêtre, te donnera des pistes de réflexion. C’est mon espoir. Je veux parler de ce qui m’arrive, pour aider celles et ceux à qui ça arrive aussi, pour leur faire savoir ce que je traverse, en espérant que ca les aidera à traverser aussi la même chose. 

Memento mori. Souviens-toi que tu vas mourir. Et rappelle-toi de vivre.