Je sais que ça peut paraître un peu étrange de prime abord, mais c’est la réalité. Le cancer a aussi été une force transformatrice. Il m’a amené à changer mon regard sur les choses, sur les gens et sur la vie. Et ça, quoi qu’il advienne, c’est un très beau cadeau.
Le premier post sur ce blog date du 20 juin. Presque trois ans, donc, que je l’alimente vaille que vaille, au gré de mes humeurs et des répits que me laissent les traitements. Et je réalise qu’en trois ans, j’ai écrit seulement trois posts réellement positifs: un pour remercier les gens qui me soutiennent au quotidien, un autre pour célébrer une chute à moto, et un dernier pour parler de l’importance de regarder le chemin parcouru.
Cette semaine, alors que je suis une fois de plus dans l’incertitude sur l’efficacité de mes traitements et sur un possible (même si peu probable) tout négatif que pourrait prendre la maladie, je me suis dit qu’il était peut-être temps de changer de regard. Enfin, plutôt de discours, car le regard est déjà là depuis le début.
Choisir comment nous réagissons
“Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu’ils portent sur ces choses.”
Cette phrase du philosophe stoïcien Epictète a été reprise un nombre incalculable de fois sous différentes formes, notamment par le romancier américain Aldous Huxley, qui disait: “L’expérience, ce n’est pas ce qui nous arrive, mais ce que nous faisons avec ce qui nous arrive”. Il y a quelque chose de similaire dans la philosophie bouddhiste, mais je n’arrive plus à retrouver la référence.
Avant la maladie, c’était déjà ma philosophie de vie. Pour moi, une expérience négative peut devenir positive à condition d’en tirer des leçons positives et de l’utiliser pour grandir. Lorsque le diagnostic de cancer est tombé, j’ai pu prendre appui sur cette certitude pour décider que j’allais faire en sorte de tirer le meilleur de cette expérience. De l’utiliser pour me transformer, pour devenir meilleur, à la fois pour moi et pour celles et ceux qui m’entourent, ou même simplement qui croisent ma route.
Quelles conséquences positives?
Au fil du temps, j’ai réalisé que je pouvais utiliser la maladie comme un puissant levier pour changer beaucoup de choses en moi et autour de moi. Voici ce que j’en ai retiré jusqu’ici:
1. J’ai appris à vivre plus sereinement l’incertitude
J’en ai déjà parlé abondamment dans ces colonnes: le plus difficile, dans le cancer et dans son traitement, ce sont les périodes prolongées d’incertitude. Ne pas savoir, pendant de longues périodes. Subir des déconvenues. Attendre des résultats. L’apprentissage n’a pas été facile, mais j’ai bien progressé. Aujourd’hui, j’arrive à rester serein dans la plupart des situations d’incertitude. Autant te dire, chère lectrice, cher lecteur, qu’en ces temps de pandémie, cette qualité est bien utile.
2. Je suis devenu plus patient
C’est un peu la conséquence logique – en tout cas pour moi – du point précédent. Être plus confortable avec l’incertitude permet de devenir plus patient. Bon, pas pour les petites choses du quotidien, j’avoue. Je déteste faire la file, et je mords la barre de mon caddie quand un petit vieux devant moi compte ses pièces de dix cents à la caisse. Mais plus à chaque fois. Ça m’arrive même d’avoir une pensée attendrie pour le petit vieux en question. Si si si! Mais de manière générale, j’ai poursuivi un apprentissage que j’avais entamé au Burkina Faso: celui de savoir me résigner aux circonstances que je ne peux pas changer au lieu de m’énerver. Et de savoir attendre.
3. Je suis plus indulgent envers moi-même
J’ai longtemps été trop exigeant avec moi-même. Au point de me mettre la pression là où ce n’était pas nécessaire. Le nombre de fois où je me suis imposé, en tant que copywriter freelance, des délais de livraison plus stricts que nécessaire… La maladie et les effets secondaires des traitements, m’ont forcé à lever le pied. C’est étrange à dire, mais la maladie et les traitement m’ont donné un “prétexte” (c’est comme ça que je le voyais au début) pour, à l’inverse, demander des délais plus longs. Ca ne s’est pas fait en une fois, naturellement. Et j’ai perdu un ou deux clients en promettant plus que ce que je pouvais tenir. Mais j’ai appris à accepter mes limites, et à travailler dans la conscience de ces limites. Avec encore des “rechutes”, bien sûr. Mais ça évolue dans le bon sens (si ça, ce n’est pas de l’indulgence).
4. J’ai appris à ralentir et à faire des choix
Pendant trente ans de ma vie, j’ai fait les choses à cent à l’heure. J’étais ce qu’on appelle un “slasher”: je cumulais plusieurs jobs ET plusieurs hobbies. J’avais déjà commencé à réduire un peu mes activités, mais je restais malgré tout pris par cette boulimie occupationnelle. Quoi que puissent en dire les slashers non repentis, le proverbe “qui trop embrasse mal étreint” est bien souvent vrai. Les traitements m’ont forcé à réduire mon activité, faute de temps, et surtout d’énergie. Et j’ai appris à me recentrer sur ce qui compte vraiment, sur ce qui me nourrit. Aujourd’hui, professionnellement, c’est tout ce qui tourne autour de l’écriture (y compris le contenu et le storytelling) et de la formation à l’écriture. Niveau loisirs, c’est la moto et la culture. Quand je compare ça à mes années musicien semi-professionnel/enseignant/journaliste/instructeur de krav maga, avec comme hobbies la lecture/la politique/la plongée…
5. J’ai appris à prendre du temps pour moi et pour celles et ceux qui comptent
Contraint de ralentir, j’ai aussi été amené à faire des choix. Pas assez de temps et d’énergie, ça veut dire aussi choisir avec qui et à quoi passer mon temps. J’ai pris mes distances avec certaines personnes, je me suis rapproché d’autres. J’ai cultivé les amitiés qui me faisaient du bien et laissé doucement s’éteindre celles qui m’étaient toxiques. Sans haine ni rancune. Mais il faut avoir la sagesse de s’entourer des personnes qui nous font grandir, qui nous poussent à exprimer le meilleur de nous-mêmes.
Le changement, c’est encore maintenant
Voilà pour les changements essentiels. D’autres sont encore en cours. J’apprends notamment à devenir moins soupe au lait. Mais le gros chantier du moment, c’est trouver la bonne mesure entre un niveau sain d’exigence envers moi-même et la capacité à me lâcher du lest.
J’espère que cette lecture t’inspirera, mon frère ou ma soeur en cancer, et t’aidera à trouver dans la maladie des raisons de changer ta vie en mieux.