À quel moment commence notre « chemin » de cancéreux? À l’apparition des premiers symptômes? À la première visite chez le médecin traitant? Au premier rendez-vous chez un spécialiste? Lors du premier examen? Quelque part entre?
Personnellement, et je suis sûr que tu seras d’accord avec moi, ma soeur ou mon frère en cancer, c’est la première fois que le mot « cancer » est lâché. Enfin, quand je dis « le mot cancer », entendons-nous bien. Le spécialiste a probablement mis les gants et pris une série de précautions oratoires avant de lâcher l’information. En douceur, espère-t-il. Avec prévenance, attention, compassion, même. Mais existe-t-il seulement un moyen de pousser quelqu’un d’une falaise avec douceur?
« Une petite lésion cancéreuse »
La phrase s’est gravée dans ma mémoire, en mode indélibile. Je me rappelle encore trop les circonstances. C’était une colonoscopie (normal, pour un cancer colorectal). Ce genre d’examen se fait sous sédation. Je suis sorti de la petite salle où j’étais censé récupérer mes esprits, encore un peu groggy mais aussi vaguement inquiet. J’ai rejoint le gastro-entérologue dans son cabinet.
« Bon, on ne va pas tourner autour du pot, les nouvelles ne sont pas bonnes. Vous avez une petite lésion cancéreuse. »
PAF.
Bon, en l’occurrence, elle n’était pas si petite que ça, la lésion. Et d’ailleurs c’était un gentil euphémisme aussi. Le mot exact, dans mon cas, c’était « adénocarcinome ». Ou « tumeur », si tu préfères un terme un peu moins technique. Mais bon, que peut-il dire d’autre, ce brave gastro? Comment amortir le choc? Parce que derrière l’euphémisme « petite lésion », il y a ce que nos amis anglo-saxons appellent « l’éléphant dans la pièce »: le cancer.
KO debout
Il y a bien longtemps, quand je faisais du rugby, j’ai remplacé un ami qui s’était démis l’épaule à une des places les plus chaudes du « pack »: talonneur. Le gars d’en face a profité de mon inexpérience pour m’assener un coup de boule de dieu le père à la première formation de mêlée. Je me suis retrouvé KO debout. Enfin, pas debout, parce que je me suis écroulé et la mêlée avec moi, mais tu vois le topo… Tu te relèves, mais tu es aux abonnés absents. Tu entends comme à travers du coton, et tu as l’impression de tout voir au ralenti. Quelqu’un te parle, et tu réponds d’une voix creuse.
Pendant la suite de la conversation, j’étais un peu dans le même état. J’errais dans une espèce de brouillard surréaliste, la tête dans un étau. Je réagissais plus par réflexe que consciemment: poser quelques vagues questions, saisir mon agenda, noter un rendez-vous pour le lendemain à l’hôpital. « Je m’arrangerai pour déjà planifier des examens complémentaires, histoire qu’on soit fixés aussi rapidement que possible sur l’étendue du problème. »
Angoisse et impuissance
Et puis, c’est la sortie de la petite clinique privée où j’étais allé faire mes analyses. Je n’avais prévenu personne, à part ma compagne, qui était au travail. Je me suis retrouvé là, bêtement, à appeler un Über pour rentrer chez moi. À essayer de joindre mon frère, un ami proche, quelqu’un à qui crier ma peur, mon angoisse, à qui confier ce sentiment d’impuissance. Personne de joignable dans l’immédiat. Je me suis retrouvé là, comme un con, sur le trottoir, à sangloter doucement en contemplant la progression de mon chauffeur sur l’écran de mon smartphone.
Quand il est arrivé, j’ai ravalé mes larmes, frotté mes yeux, et je suis monté dans le taxi. Je crois que c’est à ce moment-là qu’un ami m’a rappelé.
Tendres pensées …