Que ce soit par des proches ou par des relations plus distantes, j’ai entendu toutes sortes de réactions à l’annonce de la maladie. Je crois que celle qui m’irrite le plus est le célèbre « bats-toi », alias « tu vas te battre » ou « tu vas la vaincre, cette merde ». Voici pourquoi…
Avant de commencer, mettons les choses au clair: je n’accuse personne, je ne règle mes comptes avec personne, et surtout, je ne juge pas. Chacun a sa manière de réagir à l’annonce d’une telle nouvelle. Je l’ai dit il n’y a pas si longtemps: « Je crois qu’il y a quelque chose de pire qu’avoir le cancer. C’est que quelqu’un qu’on aime en soit atteint. » Qu’on le veuille ou non, le cancer est encore perçu comme une maladie incurable. Et il faut bien avouer que les statistiques n’aident pas. Chacun réagit donc comme il le peut lorsqu’il est confronté à l’annonce de la possible mort d’un proche. Ou même de quelqu’un de plus distant. Cette nouvelle nous confronte avec nos peurs les plus intimes, avec nos insécurités. Et chacun réagit donc comme il le peut. Parfois maladroitement, parfois très bien. Quand quelqu’un a une réaction qui ne me plaît pas ou me déprime, je le lui dis gentiment (en général) et ça s’arrête là. Je sais que ça vient du coeur: même si et le fond et la forme me déplaisent, l’intention est sincère, et c’est ce qui compte.
Maintenant que ceci est clair, voilà pourquoi « bats-toi », « tu dois te battre », et « ne te laisse pas aller » sont les pires choses à dire à un cancéreux.
Le cancer n’est pas un combat
La première chose, et la plus importante, c’est que le cancer n’est pas un combat. Dans un combat, même un combat de rue, il y a un certain nombre de règles. Des règles simples si c’est un combat de rue (si tu commences, tu termines, et ça veut dire que le gars doit être étendu par terre), des règles plus complexes s’il s’agit de combat sportif (par exemple, on ne frappe pas les testicules dans un combat de boxe thaï). Il y a aussi un temps. En général, ce temps est assez court, même si l’adrénaline le rallonge considérablement. On aussi a un ou plusieurs adversaires en face de nous: ils sont visibles, ou devraient l’être (toujours « scanner » son environnement pour ne pas se faire surprendre). Et avec un peu d’expérience, la position de leur corps, de leur centre de gravité et de leurs membres peut nous renseigner sur ce qu’ils vont tenter de faire.
Pas de règles, pas de riposte, pas de temps
- Avec le cancer, il n’y a pas de règles. Aucune. Une cellule, un jour, a muté. Et contrairement à ce qui se passe d’habitude, les globules blancs l’ont superbement ignorée au lieu de la détruire. Elle s’est multipliée en silence et a détourné les processus inflammatoires naturels pour obtenir l’oxygène et les nutriments nécessaires à sa croissance. À l’insu du malade. Qui se découvre un jour des symptomes, consulte son médecin, et apprend qu’il est atteint d’un cancer. Pour rester dans la métaphore, il s’est pris une série de coups de poing dans la figure avant même d’avoir comprendre ce qui lui arrivait, sans même voir son adversaire. Il est KO debout et ne voit même pas qui l’a frappé.
- Avec le cancer, pas moyen de riposter. Dans un combat, le ou les agresseurs sont là. On peut les frapper, parer leurs coups, reprendre l’offensive. Avec le cancer, rien de tel. Les coups, ce n’est pas nous qui les donnons: l’équipe médicale décide d’une stratégie, la met en oeuvre, et mesure son efficacité. Et pendant ce temps-là, on continue à en prendre plein la tronche en attendant que ça agisse. C’est passif, et totalement hors de notre contrôle.
- Avec le cancer, le temps s’efface. Pas de gong, pas de cloche, pas d’arbitre qui crie « mate ». L’affrontement se prolonge pendant des jours, des semaines, des mois, des années. Et c’est toujours le cancer qui décide quand ça s’arrête, pas le cancéreux.
Un marathon dans le style « spartacus run »
Le cancer est une course de longue distance, parsemée d’épreuves plus ou moins pénibles, auxquelles nous ne pouvons pas prédire comment notre corps réagira: chimiothérapie, hormonothérapie, immunothérapie, radiothérapie, interventions chirurgicales. L’ordre est aléatoire, du moins pour nous (les médecins savent ce qu’ils font). Et les résultats des analyses sanguines, des scanners, des RMI, des échographie, des prises de sang… vont déterminer si les médecins poursuivent ce protocole ou changent de stratégie. Les opérations peuvent réussir, mais aussi échouer. Les chimios peuvent nous laisser plus ou moins opérationnels ou nous clouer au lit avec des vertiges et des nausées, les effets secondaires des séances de radiothérapie peuvent s’avérer inexistants ou transformer notre vie en enfer.
C’est un marathon, qui dure des semaines, des mois ou des années. Des mois à osciller entre espoir et désespoir, entre détermination et résignation, entre combattivité et passivité, entre bonne humeur et blues. Des mois à y croire, puis à douter, puis à reprendre espoir, puis à douter de nouveau. Des mois à se demander si on aura l’énergie de faire le pas de plus, de supporter la chimio suivante, de se remettre de la deuxième ou troisième opération, de supporter les effets secondaires des séances de rayons en se demandant quand ça va s’arrêter.
Verdun ou Stalingrad, pas le championnat poids lourds
Le cancer n’est pas un combat. C’est une guerre contre un ennemi invisible. Et le malade n’est pas le combattant. Il est le champ de bataille sur lequel médecins, tumeurs et métastases s’affrontent. Un champ de bataille ne se bat pas. Il encaisse. Il attend que ça passe. Et il espère ne pas finir complètement détruit et vidé de toute vie.
Alors, toi le proche de cancéreux qui me lis, la prochaine fois que tu as envie de dire « bats-toi » à un cancéreux, relis ceci, tourne ta langue sept fois dans ta bouche, et contente-toi de poser la main sur l’épaule et de lui dire « courage, accroche-toi, je suis là si tu as besoin de moi ».
C’est exactement mon ressenti. Tout le monde me dit de me battre mais cela veut dire quoi ? Je suis heureux d’avoir pu te lire ! Tu as collé une réflexion sur une tension / doute que j’ai en moi depuis l’annonce de mon cancer. Merci infiniment
Content d’avoir pu aider.
Mais il faut aussi rester serein vis-à-vis de ceux qui nous parlent. On ne dira jamais assez leur sentiment d’impuissance, la difficulté de simplement être là pour nous…