Presque deux ans de silence. La bonne nouvelle: je ne suis pas mort. La mauvaise: je ne suis pas guéri. Et puisque ce blog s’appelle ‘Hasta la victoria’, je vais donc reprendre la plume jusqu’à la victoire. Même si le chemin est long, ardu et semé d’embûches.
Les prochains articles seront consacrés à des épisodes particuliers de mon cheminement, car il y en a encore eu depuis septembre 2018, date de mon dernier article: des chimios lourdes et difficiles, une opération de remise en continuité, quelques mois de rémissions suivis d’une rechute et de six mois de chimio… Puis encore une nouvelle rémission et une nouvelle rechute. Par moments, je me sens comme une vieille digue battue par les vagues, qui se demande quand et comment elle va enfin lâcher, quelle sera la vague qui brisera finalement sa résistance. Et puis je ramasse ce qui me reste de moral avec mes petits mains, je me relève et je continue. Mais à franchement parler, ma soeur, mon frère en cancer, ça devient difficile.
Changer de perspective
Et du coup, je réalise en écrivant ces lignes que ce qu’il me faut aujourd’hui, c’est changer de perspective. Toutes proportions gardées, la première année de la maladie a été « facile ». Pas facile physiquement, évidemment. Se taper 4 mois de chimio, puis de la radiothérapie, puis deux opérations majeures à un mois d’intervalle suivies de nouvelles séances de chimio intrahépatiques (la joie de se faire injecter des trucs directement dans le foie…), puis une dernière opération, juste avant Noël, ça fait une dose. Mais je réalise qu’à l’époque, ce qui m’a fait tenir, c’est ce chemin tout tracé, avec en fin de course la remise en continuité.
Je pense que c’est ça qui me manque aujourd’hui. À l’époque, il y avait un combat (même si je n’aime pas ce terme) à mener. Il y avait un programme clair, avec une fin possible. Evidemment, tout pouvait changer en cours de route, et certains éléments ont d’ailleurs changé. Après l’étude anatomo-pathologique, la tumeur s’est avérée beaucoup plus virulente qu’attendu. Elle avait moins diminué en taille que les examens ne le laissait soupçonner, elle avait beaucoup plus envahi les tissus qui l’environnaient. Du coup, il a fallu retaper dessus très vite et très fort avec de la chimio. Au lieu de passer un mois et demi avec une stomie, ce joyeux petit affleurement de l’intestin grêle qui permet de déverser tous les excréments dans un petit sac plutôt que dans mon côlon en pleine cicatrisation, j’allais devoir la garder six mois. Mais tout ça n’était pas grave, parce qu’il y avait un objectif au bout de la route. Le moment où la chimio serait finie, le moment où mon intestin grêle serait « rebranché » sur le côlon. Le moment où j’allais pouvoir reprendre une vie normale.
Trouver une boussole
Ce retour vers la normalité n’a pas été simple cela dit, même avant l’annonce de la rechute. Et c’est là, sans doute, que la difficulté de tenir a commencé à se manifester. Certains patients « stomisés » se remettent assez vite. D’autres moins. Mon côlon, déjà rudement éprouvé par l’opération, n’avait pas trop accepté ses six mois de chômage forcé et entendait me le faire savoir. Pour te donner une idée, certains jours, malgré les Imodium, je n’allais pas moins de 20 à 25 fois aux toilettes. Ce calvaire-là a duré près d’un an. Et ça a été mon premier contact avec l’absence de perspective à laquelle me raccrocher. Mon oncologue ne savait que me dire que c’était « normal », qu’il fallait attendre et espérer, mais que tout le monde ne se remettait pas aussi bien. Et que d’autres se remettaient encore plus mal que moi. Mais le plus dur, c’était à la fois de ne pas savoir à quoi ressemblerait la victoire, ni quand elle pourrait arriver.
Paf la rechute
J’étais encore en train de me battre pour récupérer un côlon plus ou moins fonctionnel quand je me suis pris la deuxième grosse baffe. À peine rentré d’une semaine de vacances bien méritées dans les Gorges de Loire, une résonance magnétique – simple contrôle de routine – m’attendait. Je ne sais pas pourquoi, mais je la sentais mal, cette histoire. Mon pressentiment était justifié: la semaine suivante, mon oncologue m’annonce la mauvaise nouvelle: une métastase dans le poumon. Il faudra sans doute opérer, mais on va d’abord faire un PET-scan pour s’assurer qu’il n’y a rien d’autre. Et là, nouvelle déconvenue: finalement, ce n’est pas une métastase dans les poumons, mais deux. Et en prime, un chapelet de ganglions de la paroi abdominale colonisés aux aussi par des métastases. Rien ne sert d’opérer, il va falloir réattaquer la chimiothérapie.
Tu parles d’une baffe. J’avoue que celle-là m’a un peu laissé KO debout. Il m’a fallu plusieurs semaines pour digérer l’information. Pour repousser le désespoir et l’envie de tout lâcher et retrouver la niaque. La même technique que précédemment, finalement: me dire qu’il y a en principe 12 séances de chimio, et qu’après on lui aura niqué sa tronche, à cette récidive. Avec des tests toutes les 4 chimios pour baliser les progrès. Ca laisse un vrai chemin, des perspectives auxquelles me raccrocher pour avancer. Ca laisse toute la place pour déployer de l’énergie et se dire « OK, on positive, la chimio va marcher et après je serai guéri ». Et après les 12 séances, j’étais tellement sûr de mon coup que j’ai débarqué avec le champagne chez mon oncologue, sans même savoir si c’était bon. Mais c’était gagné, les métastases avaient disparu au PET-scan et à la RMI, et les marqueurs étaient revenus à la normale. Hallelujah!
Repaf, la rerechute
Sauf qu’évidemment, c’était trop beau pour être vrai. Deux mois plus tard, début juillet, contrôle de routine: les métastases sont de retour. Bonne nouvelle, si j’ose dire, ce sont les mêmes: autrement dit, elles avaient reculé jusqu’à ne plus être visibles à l’imagerie médicale, et elles ont tranquillement (et rapidement) repris du poil de la bête. Du coup, me revoici avec à nouveau la perspective de 12 nouvelles séances de chimio. Enfin, plus que 9, parce que j’ai terminé la troisième ce samedi. Donc, en gros, reparti au moins jusque décembre dans ce cycle infernal mais connu: 1 jour d’injection, 4 jours pas bien, 10 jours bien, et c’est reparti pour un tour.
Mais là, la perspective change. La réalité est que cette saleté de crabe est en train de se transformer en une maladie chronique, contre laquelle il va falloir régulièrement revenir me faire traiter. J’ai un peu de mal à m’accommoder à cette perspective. À trouver des raisons de continuer à me battre. Ca fait un fameux coup au moral, de se dire tout à coup que peut-être il n’y a pas d’issue. Que ça va être un mariage de merde jusqu’à ce que la mort nous sépare, le cancer et moi.
Bon, je me connais, je vais trouver un truc pour sortir de cet état d’esprit et reprendre le dessus moralement. Mais là, à l’heure de clore cet article, je ne sais toujours pas quoi ni comment.
On en reparle, c’est pas fini.
T’es un putain de warrior Fred. Love ❤️