Pour cette première contribution externe, nous accueillons Nicole. En rémission d’un cancer du sein, elle a choisi de parler du paradoxe de ce mois d’octobre rose et s’inquiète: ne va-t-il pas entraîner une banalisation du cancer du sein et rendre ainsi plus difficile la souffrance des patientes et des patients?
Opérée d’un cancer du sein en 2015, je suis une patiente “en rémission” – et je compte fermement atteindre la guérison en septembre 2020. Chaque année depuis mon opération, ce mois d’octobre me met mal à l’aise. En ce beau mois, les magazines roses fleurissent dans les salles d’attente des cliniques du sein; des places publiques, des gares, des tours s’illuminent en rose… Du rose, du rose à n’en plus finir, du rose jusqu’à l’ écoeurement…
Nouvelle contributrice
C’est avec plaisir que j’accueille aujourd’hui notre première contributrice sur Hasta La VIctoria: Nicole!
Ce blog a été créé pour toi, malade du cancer ou proche de malade. Ses colonnes te sont donc largement ouvertes si tu as envie de témoigner, de pousser un coup de gueule, de remercier quelqu’un ou la vie, de partager ton expérience.
Bref, contacte-moi et on en parle!
Pourquoi ce tintamarre?
Alors oui, je sais que cette démarche part d’une bonne intention. Mais l’enfer en est pavé, ne dit-on pas? Car ce tsunami rose porteur de messages tous plus lénifiants les uns que les autres n’en envoie-t-il pas un autre, plus délétère? “Après tout, maintenant, ce n’est plus si terrible? Ça se guérit? Les chimios sont plus légères, les thérapies ciblées? On peut même irradier la tumeur en une seule séance! Bientôt, on ne fera plus la différence entre CE cancer et une méchante grippe!”
Et d’ailleurs, pourquoi tout ce tintamarre autour du cancer du sein? D’accord, celui de la prostate a désormais le sien, en novembre, quand les hommes se laissent pousser la moustache. Mais les autres cancers, ceux du poumon, des voies digestives sont-ils moins dramatiques, moins mutilants pour ceux qui en souffrent?
Un peu de calme et de pudeur
Moi (et toutes les autres …) qui suis passée par toute une série d’ examens douloureux, de traitements aux effets secondaires invalidants, d’opérations mutilantes – les Amazones, ce n’ est glamour qu’au cinéma et dans la mythologie grecque – je voudrais au contraire qu’on nous oublie un peu, qu’on nous lâche, médiatiquement parlant! Ne suffit-il pas que le miroir nous rappelle chaque jour, sans ménagement, ce qui fut tout sauf une partie de plaisir, et le reste encore maintenant? Après toutes ces épreuves, n’avons-nous pas droit au calme, à la pudeur, à la discrétion, voire au silence, pour nous-mêmes et nos proches?
Il existe aujourd’hui pas mal d’ associations, de forums, de colloques, de conférences, de groupes de parole auxquels nous raccrocher quand la peur et les douleurs nous minent le moral et nous font voir l’ avenir sous un ciel couleur d’ orage . Mais c’est à nous de décider quand, et avec qui, et en quels termes nous voulons parler de notre vécu.
Les droits de la cancéreuse
Sur le modèle de la Déclaration des Droits de l’ Homme, j’imagine une Déclaration des Droits de la Cancéreuse:
- droit au Ras-le-Bol face aux slogans rose bonbon et au fameux petit noeud qui inonde tous les espaces
- droit à l’irritation, à la lecture de ces articles lapidaires dans certaines revues, de ces journaux, vantant les «énormes » progrès de la recherche et des traitements ou pointant du doigt les dangers du « surdiagnostic »
- droit à la colère devant le coût de tous ces traitements qui, en dépit de ce qui subsiste de notre sécurité sociale, ne sont pas à la portée de toutes les catégories sociales, que le cancer frappe pourtant indistinctement
- droit à l’agacement face aux élucubrations de ceux qui voudraient que ce cancer se soigne par urinothérapie ou biologie totale. Nous parlons de cancers: les protocoles thérapeutiques “alternatifs” fondés sur une base scientifique plutôt douteuse ont-ils réellement leur place dans le débat?
- droit au silence, au calme, à la discrétion, à la pudeur
- droit de (ne pas) vouloir savoir, une fois le diagnostic posé, quels sont les pourcentages de survie suivant l’ âge, la catégorie sociale, les habitudes de vie. Comment d’ ailleurs faire le tri entre les études contradictoires des laboratoires et/ou experts/professeurs de tout poil? (NDLR: voir notre article sur les statistiques de survie et l’opinion d’un chercheur sur ces mêmes statistiques)
La réalité du cancer
L’ approche du cancer est affaire de méthode, de convictions, voire, de philosophie.
En marge des articles (pseudo) scientifiques, il existe des ouvrages comme celui de Jean-Pascal Capp: « Nouveau regard sur le cancer » (chez Belin), dans lequel ce docteur en cancérologie moléculaire explique pourquoi les thérapies ciblées connaissent des succès limités, et déclare que « les stratégies chimiothérapeutiques et radiothérapeutiques ont depuis longtemps montré leurs limites ». Il estime, avec d’autres, que les traitements les plus utilisés reposent davantage sur l’amélioration (indéniable) de stratégies anciennes que sur une compréhension rationnelle de la maladie!
Mais la réalité du cancer ne se trouve ni dans les articles, ni dans les slogans publicitaires. La réalité, c’est le quotidien de chacune d’entre nous. Ou de chacun, car les hommes aussi peuvent être victimes d’un cancer du sein… La vérité se cherche dans les innombrables études (persévérance requise pour leur lecture!) relatives aux bienfaits réels et supposés de l’ hormonothérapie, études « randomisées » qui vous assènent que le taux de survie à 5 ans (!) est de X % avec le tamoxifène et de Y % avec les inhibiteurs de l’ aromatase (non, ce n’est pas le nom d’ un parfum …).
Parler avec son oncologue
Il paraît qu’environ 30% des femmes arrêtent leur hormonothérapie en raison des effets secondaires, sans oser le dire à leur oncologue. Certaines (dont je suis) ont la chance de pouvoir discuter de leur traitement en toute franchise avec leur(s) thérapeute(s), de décider de le modifier, voire de le suspendre, après avoir établi, en concertation avec le médecin, un bilan coûts (effets secondaires) /bénéfices (taux de diminution du risque de récidive?). Cela demande une bonne dose d’ honnêteté et de courage, aux deux parties. Un dialysé, un diabétique n’ ont pas droit à ce choix, du moins je le crains. Ils doivent se soigner coûte que coûte! Mais leurs pathologies ne donnent pas lieu à un mois entier de médiatisation à outrance…
(NDLR: nous avons déjà évoqué dans ces colonnes l’importance de choisir son oncologue. Le dialogue et la franchise sont essentiels dans la lutte contre la maladie)
“Survie” à 5 ans?
La survie à 5 ans… Ca veut dire quoi? Que certaines d’entre nous seront, 5 ans après la découverte de leur cancer), un chiffre de plus à rajouter aux statistiques, d’un côté ou de l’autre de la barrière, selon qu’il y ait survie, ou pas? Voilà qui vous remonte sacrément le moral! De toutes façons, me direz-vous, malade ou pas, on va tous l’emprunter, la barque de Charon vers le séjour des morts. Alors, tout ça pour ça?
Pour ceux qui auraient refermé leur journal ou magazine, après avoir lu, l’ oeil humide et le coeur confiant, les propos rassurants sur ce cancer « finalement guérissable », « pas si terrible », je terminerai par ces mots: j’ ai participé le mois dernier à un groupe de paroles initié par la Clinique du sein où j’ ai été (très bien) prise en charge. Nous étions une vingtaine de femmes. Celles qui le souhaitaient ont pris la parole, à tour de rôle, afin de raconter brièvement leur histoire, avec leurs mots. Le type de cancer du sein, les traitements subis… Je me suis tassée sur ma chaise, mal à l’ aise, pas vraiment à la fête, en entendant tomber, régulièrement , les mots « récidive » et « métastases » (épiglotte, poumons, foie, os…).
Moi qui, depuis que je suis toute petite, déteste le mois de novembre (pluie, froid, vent, cimetière, chrysanthèmes…), je l’ attends chaque année avec impatience…
Chère madame,
Je tombe par hasard sur votre article excellemment bien écrit en lisant le blog de Fred.
Je n’ai pas eu le cancer. Ma sœur oui.
Et comme vous, je suis terriblement agacée par cette campagne d’octobre rose.
Je ne savais pas exactement pourquoi, c’était un sentiment diffus.
En vous lisant j’ai compris.
Merci.
Portez-vous bien.
Veronique