Après notre premier article sur les statistiques de survie, un ami chercheur en cancérologie a tenu à apporter quelques précisions supplémentaires. Bonne nouvelle, il confirme mes propos sur cette épineuse question des chances de survie.

«Je pense que tu as parfaitement résumé ce qu’il faut retenir des stats de survie. Pour le patient, elles ne servent à rien », m’écrit cet ami, médecin et chercheur en cancérologie. «Quant au médecin, comme tu l’écris, c’est un peu différent. J’ajouterais que les statistiques présentent un intérêt supplémentaire pour le praticien : les statistiques de survie lui permettent de se faire une idée de l’intérêt de traiter un cancer. Je prends un exemple simple : si la survie médiane d’un cancer de la prostate est de huit ans, et qu’un médecin a devant lui un patient de 85 ans dont la survie probable, indépendamment de ce cancer, est de deux ans, il n’y a aucun intérêt à l’opérer pour enlever sa prostate, puis à sortir l’artillerie lourde en termes de chimio.»

 

Limiter les risques

Au cas où le raccourci ne te semblerait pas évident, chère lectrice, cher lecteur, le raisonnement du médecin est le suivant : statistiquement, le patient risque de mourir de vieillesse avant de mourir de son cancer. Or, les traitements prévus dans le cas d’un cancer sont particulièrement dangereux pour une personne âgée:

  • Pour commencer, l’anesthésie générale – nécessaire pour une résection de la prostate – fait toujours courir un risque au patient. Plus ce dernier est âgé, plus le risque devient important. Un médecin aura donc tendance à éviter les opérations sous anesthésie générale. Pour résumer en caricaturant un peu, un médecin consciencieux ne fera courir le risque d’une anesthésie à ce patient que si la probabilité de trépasser si on ne fait rien est plus grande que la probabilité de ne pas se réveiller après l’opération. N’oublions pas le serment d’Hippocrate!
  • Ensuite, la chimiothérapie elle-même est une procédure dangereuse. Le principe de base d’une chimio, c’est d’inonder le corps d’une substance hautement toxique. Cette substance inhibe certains processus cellulaires essentiels à la survie des cellules. Les cellules cancéreuses y sont en principe plus sensibles que les cellules saines, et le « pari » est donc que la tumeur et les métastases seront nettement plus affectés que les organes sains. La chimiothérapie est donc un choc important pour l’organisme du patient. Plus il est âgé, plus son corps aura du mal à s’en remettre.

Donc, plus le malade sera âgé, plus les médecins seront réticents à le traiter. En particulier lorsqu’un tel traitement ne prolonge pas significativement l’espérance de vie. Pourquoi plonger un patient dans une série d’épreuves épuisantes moralement et physiquement et lui faire courir le risque d’y rester, lorsqu’il pourrait passer une fin de vie paisible et sereine? Conclusion de ce chercheur : «Pour reprendre l’exemple du cancer de la prostate, le corps médical ne traite plus (et ne diagnostique plus) ces cancers au-delà de 75 ans.»

 

Les stats de survie, reflet du passé

Au sujet des statistiques de survie, notre chercheur confirme mon raisonnement sur le côté « pessimiste » de statistiques basées sur le passé. «Quand tu consultes une étude, même récente, sur la survie, elle se base inévitablement sur une prise en charge qui a forcément quelques années.»

Partons d’un exemple: le cancer du pancréas, qui est particulièrement foudroyant – un an de survie en moyenne. «Si je commence demain une étude clinique avec une nouvelle molécule, et qu’il me faut 2 ans pour mener l’étude et publier les résultats, la communauté médicale incorporera dans ses statistiques des résultats basés sur l’utilisation d’une molécule qui a été introduite il y a minimum 2 ans. Même sur un laps de temps aussi court, rien n’empêche qu’une nouvelle molécule, encore plus efficace, soit introduite sur le marché. A fortiori, pour les cancers dont les statistiques de survie sont de 5 ou 10 ans, les chances qu’une nouvelle molécule soit introduite et utilisée au cours de sa maladie sont encore plus importantes.» Les statistiques sous-estiment donc systématiquement les chances du patient. Raison de plus pour les prendre avec des pincettes.

 

Chaque cas est différent

Pour conclure, notre chercheur insiste aussi sur les particularités de chaque cancer. «Dans les sites grand public, tu trouveras, au mieux, 4 stades: cancer localisé, extension locale, ganglions envahis et métastases à distance», explique-t-il. «Parfois, on affine en te donnant les chances survie en fonction du grade (ndla : pas de panique, je te prépare un article à ce propos). Mais si on prend le cas des métastases distantes, il y a une grosse différence entre avoir, comme toi, quelques métastases hépatiques résécables (traduction: quelques métastases au foie qu’on peut facilement enlever au cours d’une opération) et avoir de multiples métastases osseuses, hépatiques, pulmonaires, cérébrales… Et je ne parle même pas des différences au niveau moléculaire, dont on ne parle quasiment jamais dans les statistiques accessibles au grand public.»

En clair, donc, les statistiques de survie liées à un cancer colorectal avec métastases sont une moyenne entre des patients avec quelques métastases localisées dans un organe et des patients rongés par les métastases. «Te baser sur ces statistiques pour évaluer tes chances, c’est l’équivalent à l’idée de me mettre dans une salle avec Mark Zuckerberg, Bill Gates, l’émir du Qatar et un riche patron sorti de Solvay, de faire la moyenne des revenus des personnes présentes dans cette salle et d’en conclure que les chercheurs sont quand même extrêmement bien payés…»

 

Fais ta propre chance

Bref, comme je l’avais signalé dans mon premier article, par pitié, que tu sois patient(e) ou proche de patient(e), ne te laisse pas hypnotiser par les statistiques. Elle n’ont qu’une très faible valeur indicative pour toi, et, si elles sont mauvaises, elles risquent de te déprimer. Pour caricaturer, ce n’est pas parce que tu as une chance sur 6 seulement de faire un 5 si tu jettes un dé que tu ne vas pas sortir un 5 du premier coup. Ou que tu n’en sortiras pas avant d’avoir jeté 20 fois le dé.

 

Aie confiance en tes capacités ou en celles de ton ami(e) atteint(e) du cancer et concentrez-vous sur ce qui compte: garder le moral et l’envie de guérir.