Combattre le cancer est un travail de longue haleine. À tel point qu’il est parfois difficile de trouver la force de continuer. Mais il faut le faire. Pas à pas, jour après jour. Sans trop penser au futur, trop incertain, mais en se retournant de temps en temps sur les victoires passées.
À mes amis qui me disent à quel point ils admirent ma force de caractère, je réponds toujours en souriant que je n’ai pas d’autre choix. C’est à la fois vrai et faux. Je pense en réalité qu’on a tous les jours le choix. Le choix entre « lâcher la rampe, cesser de se battre et attendre la mort » et « serrer les dents, se relever et continuer ». Et ce choix, un malade du cancer doit le faire chaque jour. Parfois même à chaque heure, à chaque instant. Certains jours, il est facile à faire. D’autres jours, c’est moins évident. C’est comme ça. Parce que parfois, continuer est le choix le plus douloureux, physiquement, émotionnellement et mentalement.
Oublier le futur
Bon, lu comme ça, ce titre sonne un peu « trash ». Mais attention, je ne dis pas « faire une croix sur le futur ». Mais quand on est atteint du cancer, le futur est une grosse masse informe et effrayante. J’allais dire « surtout au début », mais en fait, non. Là, je suis au milieu, et le futur n’est pas moins incertain ou moins effrayant. Alors oui, j’ai deux opérations très lourdes derrière moi. Une pour les métastases au foie, et une pour la tumeur. La première fois, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Le réveil a été un peu effrayant. Pas à cause des douleurs au ventre, mais de celles aux épaules. Quand on t’opère, on te met dans des positions bizarres, avec des trucs pour te retenir. Et quand tu restes six heures paralysé dans la même position – vraiment paralysé, pas juste endormi, car les anesthésiants contiennent du curare – ça fait parfois des surprises très douloureuses au réveil. Du coup, j’ai pas mal stressé pour la deuxième opération. Dommage, ça n’aurait de toute manière rien changé. Je n’ai pas eu de pot: plus de 8 heures sur le billard, ça a laissé des traces, qui ne sont pas encore résorbées entièrement. Je m’en serais bien passé, mais elles sont là.
Comme mon iléostomie. Au départ, je devais la garder un mois et demi (si tu ne sais pas ce qu’est une iléostomie, va voir sur Wikipedia). Quelques jours après l’opération, mon oncologue m’a annoncé que finalement, la commission oncologique multidisciplinaire avait décidé de recommencer les cures de chimio le plus rapidement possible. Et comme l’oxaliplatine – une des composantes de ma chimio – freine la multiplication des cellules et affaiblit le système immmunitaire, pas question d’enlever ma stomie avant la fin des 8 séances de chimio programmées. Et donc, je garde ma stomie et mes petits sacs collés au ventre jusqu’à la fin 2018. Quand je te disais que le futur est effrayant et sans cesse changeant…
Bref, le futur, faut pas trop y penser. À deux exceptions près:
- le futur lointain, le fameux « quand tout ça sera fini ». Parce que c’est ton objectif de l’atteindre, ce futur-là. Mais comme le montagnard qui gravit la montagne, il faut y penser comme un but, pas passer son temps à compter la distance, parce qu’à ce jeu-là, tu es perdant.
- le futur très proche, celui des petits plaisirs que tu t’accordes et des petits objectifs intermédiaires que tu te fixes. C’est super important d’émailler ton chemin de trucs qui font du bien. Si tu es le cancéreux, fixe-toi de petits défis. Par exemple, moi je veux passer mon permis moto avant la fin de l’été. Si tu es un(e) proche, propose-lui des trucs qui font du bien: un weekend en amoureux, une virée entre amis. Peu après l’annonce de mon cancer, alors que je mourais de trouille, ma chérie m’a dit « viens, on va passer un weekend à la mer ». Ca m’a fait un bien fou. Oui, j’ai un peu pensé à mon cancer, mais pas tant que ça. Et ça m’a fait un bien fou, cette parenthèse.
Accroche-toi comme l’alpiniste. Un pas, puis l’autre, avec le sommet dans un coin de ta tête.
Se réjouir du passé
Notre passé, c’est nos petits triomphes sur la maladie, les épreuves qu’on a surmontées, les peurs qu’on a vaincues. C’est important de se retourner sur elles régulièrement. Pour puiser du courage dans ce que tu as déjà accompli, pour te rappeler tout ce que tu as eu la force de traverser. Pour réaliser à quel point nous, les humains, nous sommes résilients, et capables de nous accommoder du plus dur. C’est important aussi de te rappeler ce que tu pensais avant ces épreuves. Et de réaliser à quel point, souvent, tu les a plus craintes que nécessaires. Et si tu as parfois eu l’inverse, c’est pas grave. Là aussi, tu as vécu pire que ce que tu imaginais, mais tu es passé à travers. La douleur, la peur sont momentanées. On peut revivre sa peur (et encore, une fois l’épreuve passée, c’est difficile de s’imaginer comment on était avant), mais on ne peut pas revivre sa douleur, et c’est tant mieux.
Ton passé est ton trésor. Chéris-le, car il t’aidera à supporter le présent. Un pas à la fois.