Le plus dur, avec le cancer, est de trouver le bon équilibre entre “se bouger le cul” et “rester indulgent avec soi-même”. C’est un exercice d’équilibriste qu’il n’est guère simple de maîtriser.
Je dois l’inspiration de cet article non à ma propre situation, mais à celle d’une soeur et d’un frère en cancer:
- L’une se lance un défi physique après l’autre sur Twitter, et exprime souvent sa frustration face à la difficulté de récupérer sa condition physique.
- L’autre s’est étonné récemment dans un chat entre cancéreux de se sentir physiquement à bout et incapable d’éprouver des sentiments deux semaines après son retour à la maison suite à une opération dangereuse et d’une revalidation particulièrement pénible. Il se demandait s’il faisait une dépression. Ma sister Ingrid (une autre cancéreuse) et moi-même l’avons rassuré à notre façon un peu bourrue: “Mais enfin! Tu viens de vivre un enfer de trois semaines. Lâche-toi la grappe et laisse-toi un peu de temps pour te remettre, nom d’un chien!” (Bon, on a été moins classe que “nom d’un chien”. Je pense qu’il était question de prostituées et d’excréments).
Soyons de bon compte. S’ils m’ont inspiré, c’est parce que leurs frustrations ont été (et sont) les miennes. Et probablement les tiennes aussi. Surtout si, comme moi (et comme les deux personnes citées) tu es encore jeune et fringant(e). Ou plus exactement que tu l’étais avant que le crabe ne se mette à te ronger.
Dur dur d’être cancéreux
Le cancer est une dure école. Déjà, il y a la maladie elle-même, surtout si elle est détectée à un stade assez tardif. Je me souviens qu’entre le diagnostic et le début des chimios, ma tumeur au côlon est devenue si douloureuse que j’ai dû prendre des opioÏdes pour tenir le coup. J’ai vécu les premières chimios comme une délivrance: la tumeur prenait manifestement cher, car les douleurs se sont tout de suite mises en mode mineur avant de disparaître.
Parlons-en, d’ailleurs de la chimio (et des autres traitements). Le cancer fait partie de ces maladies dont le traitement te rend plus malade que la maladie elle-même. Je parle du ressenti, naturellement. Nous en avons déjà parlé amplement: chimiothérapie et radiothérapie sont des traitements douloureux, particulièrement la chimiothérapie. Quant aux opérations, elles prélèvent aussi leur lot de vitalité. Outre l’effet à long terme des anesthésies générales, il y a les cicatrices, les muscles sectionnés et recousus pour atteindre les tissus (si tu n’as pas la chance de pouvoir être opéré par laparoscopie), et les ablations qui font toujours leur effet sur l’organisme… Bref, n’en jetez plus 😉
Impatience, quand tu nous tiens
La réalité des traitements, donc, qu’ils soient chirurgicaux ou médicamenteux, est qu’ils prélèvent un tribut très lourd. Trop lourd. Et que la baisse d’énergie est difficile à vivre lorsqu’on est encore jeune (j’allais dire “et en bonne santé », mais bon…). On aimerait tant se relever tout de suite et s’y remettre. Avant de tomber malade, j’avais une condition physique plus qu’honorable, malgré un petit embonpoint. Je suppose que le fait d’avoir été instructeur de Krav-Maga y a beaucoup contribué. Je me rappelle du chirurgien qui m’a opéré du foie me disant “en tout cas, vous êtes sportif vous, ça a été compliqué de couper dans vos abdos”. Ca m’avait mis un peu de baume sur le coeur à un moment où je luttais pour parcourir un demi-couloir d’hôpital appuyé sur mon tourniquet à perfusions.
La réalité, c’est que plus de deux ans après les opérations, je n’ai toujours pas entièrement récupéré, loin de là. Je me vois mal, comme dans mon passé glorieux pas si lointain, me taper 10 heures d’examen pratique à l’issue de deux ou trois jours de stage instructeurs et clôturer la séance par une série de pompes et d’abdos. Mais bon, quand je détaille mon HIIT du matin à certains amis en me plaignant de ne pas avoir l’énergie tous les jours, je les vois lever les yeux au ciel. Tout est relatif.
La clé de la remise en forme
Tout ça pour dire que la clé de la remise en forme, c’est commencer par accepter que nous ne le sommes plus, en forme. Et que nous sommes en bien plus mauvais état que nous ne voulons bien l’imaginer. Pester contre cette situation ne sert à rien. Crois-moi, je l’ai fait. Comme Alex et Cindy, mon brother et ma sister dont je t’entretenais en début d’article.
Mais accepter cette réalité est indispensable. Tout comme te montrer “coulant” avec toi-même. Ca ne veut pas dire te laisser aller et passer tes journées à faire la limace dans le fauteuil. Ou plutôt si. Fais la limace si tu ne le sens pas. Ce dont tu as besoin avant tout, c’est de te montrer gentil(le) avec toi-même. Et de te réjouir de tes petites victoires plutôt que de t’apesantir sur tes défaites. Tu es en vie, et en plus ou moins bon état, et c’est déjà tellement fabuleux. Et tu redeviendras un jour une grande partie de ce que tu as été. Laisse-toi juste le temps d’y parvenir. Et laisse-moi un petit message si ça devient trop dur, je me ferai un plaisir de te répondre.
Et comment réagir quand on sait que le cancer est sur le point de gagner et qu’il ne reste plus beaucoup de temps? Je suis perdue. J’ai relu tes articles, ils m’aident beaucoup. Mais là je suis perdue.
C’est une question difficile. Je n’ai pas le vécu qui me permet de me mettre à ta place. Même si parfois je me suis cru perdu, je ne l’ai jamais encore été « officiellement ». Et j’étais trop jeune pour accompagner comme j’aurais pu ou dû le faire les proches qui ont dû partir.
Je pense que le conseil de cet article-ci reste valable. Sois gentille avec toi-même. Si tes jours sont comptés, fais en sorte qu’ils comptent. Pour toi et pour les autres. Et si ce n’est pas toi qui pars, mais un(e) proche, le conseil reste valable pour elle ou lui.
Je pense qu’il est encore plus important de définir tes priorités. Qu’est-ce que tu veux (ou qu’est-ce que cette personne veut) encore absolument faire dans le temps qu’il reste? Au début de mon cancer, j’ai pas mal appelé des gens avec qui j’avais laissé des choses inachevées, pour leur dire ce que j’avais encore sur le coeur. C’était souvent pour demander pardon, mais pas toujours. J’essaie de continuer à présent. Je sais qu’à chaque fois ça m’a donné un sentiment de plénitude, d’accomplissement, de porte doucement refermée dans la sérénité. Si c’est un(e) proche, alors dis-lui toi aussi tout ce que tu voudrais encore lui dire.
Je ne sais quoi te dire de plus, sinon que je t’envoie mes pensées les plus douces.