Ces derniers temps, je me pose beaucoup de questions sur mon rôle dans la gestion de mon cancer et de mes traitements. Un questionnement franchement pas facile, parce qu’il me renvoie essentiellement à ma propre impuissance. 

Cette introspection a démarré par nécessité. Je pense te l’avoir déjà dit, chère soeur ou cher frère en cancer, la maladie et son traitement connaissent plusieurs phases: 

  • les premiers mois de traitement
  • les périodes de rémission
  • la période qui suit un insuccès ou une récidive

En toute honnêteté, il reste probablement aussi la phase à laquelle je ne suis pas pressé d’arriver et que, pour tout dire, j’espère même de tout coeur éviter: le moment où tout a échoué et ou ce n’est plus qu’une question de semaines ou de mois. Restons donc à ce que je connais, au moins je peux parler de ma propre expérience. 

Easy peasy: les premiers mois

D’un point de vue psychologique, les premiers mois sont sans doute à la fois les plus faciles et les plus difficiles. Une fois digérée l’annonce de la maladie, deux facteurs s’affrontent. D’une part, la pénibilité des traitements proprement dits – et sur le sujet, je peux en raconter un paquet – et d’autre part, notre vision du futur proche. Cette dernière conditionne en partie notre réaction à difficulté d’affronter opérations, chimios et tout le tintouin. 

Globalement, je dirais que le gros point positif de cette première phase est son côté prévisible: les médecins ont établi un plan de bataille et un planning plus ou moins précis. En clair, il y a un but et des étapes. Le but nous donne une ligne d’horizon vers laquelle avancer, une date-butoir qui, même si elle n’est pas précise, nous rappelle que tout a une fin. Les étapes nous fournissent des points de repère pour baliser le parcours et garder la motivation. Je savais que j’avais 8 séances de chimiothérapie – si mes souvenirs sont bons – avant d’entamer la radiothérapie. Que celle-ci durerait 5 jours, que je pourrais ensuite me reposer quelques semaines, et qu’ensuite je subirais deux opérations à un mois d’intervalle. Après avoir récupéré de la deuxième opération, re-chimio pour s’assurer qu’on a bien éliminé tout ce qu’on pouvait éliminer. Après la chimio, troisième opération pour rebrancher mon intestin grêle sur mon côlon, et puis, hop, les “vacances”. 

Du coup, à chaque étape, je pouvais m’encourager. Plus que x chimios, plus qu’une opération… Même les revers subis durant ce traitement primaire étaient “faciles” à intégrer. Par exemple, l’analyse de la tumeur après son extraction a révélé que ce cancer était vraiment du genre “sale fils de pute”. Plus virulent qu’attendu, quoi. La tumeur et les métastases proches avaient mieux résisté aux traitements qu’on ne l’espérait, et du coup, les médecins craignaient que le foie voie un retour des métastases. Ils avaient donc recommandé une injection intrahépatique – directement dans le foie, via un cathéter qui remontait depuis l’artère fémorale- pour certains composants de mon petit cocktail perso. Systémique (via un cathéter permanent relié au ventricule droit. Ou gauche. Enfin, celui qui gère elle retour du sang veineux. Plus longue et plus douloureuse, cette chimiothérapie-là; plus de 6 heures de traitement, suivies d’une nuit sur place histoire de pouvoir bouffer des opioïdes en cas de douleurs aiguës ou de pouvoir filer aux urgences si tout partait en sucette. Pas réjouissant, mais gérable. Parce qu’au final, c’était 6 chimios “intrahépatiques”  plus entre 2 et 4 chimios “systémiques”, et puis basta! Et donc, je pouvais faire mon petit décompte et m’accrocher. 

La rémission et l’épée de Damoclès

J’en ai parlé aussi, la rémission est plus difficile à gérer, paradoxalement. D’un côté, tu es forcément tout content, parce que cette saloperie a fait ses bagages. De l’autre, tu paniques à chaque nouveau test parce que la peur de la récidive est là. J’ai fini par avoir recours à une psy, hyponotiste à ses heures, pour apprendre à mieux vivre avec cette angoisse. C’est vite fait de se laisser ronger et de ne plus vivre entre deux tests. 

J’ai aussi dû gérer la “remise en forme”, qui n’est franchement pas évidente non plus. De « plutôt sportif malgré mon léger embonpoint” (instructeur de Krav Maga, ça maintient la forme), je suis passé à “totalement grabataire because ventre charcuté et recousu”. Sans compter la fatigue des chimios. Cette remise en forme là est dure à gérer. 

La récidive et le retour de la méga incertitude

La récidive, c’est comme les jeux vidéos de shoot’em up: tu es reparti(e) pour refaire tous les niveaux, mais l’ennemi est vachement plus acharné, et tu dégustes. En fait, le problème c’est que les niveaux changent aussi complètement: et leur nombre, et leur difficulté. Tu es en territoire inconnu, sans horizons clairs. Combien de chimios? Autant qu’il faudra! Avec ça, difficile de gérer. 

Mais le pire, comme je l’ai dit, c’est la peur de la mort. Elle devient plus réelle, plus palpable, parce que, comme dans les jeux vidéo, tu as droit à un nombre limité de “vies”, je veux dire de “lignes de chimiothérapie”. Dans mon cas, c’était 4 en début de récidive. Pourquoi plusieurs lignes? Parce que le cancer mute. Et que ces mutations peuvent rendre les traitements inopérants. Du coup, quand tu apprends, comme je l’ai fait, que la première ligne ne marche plus et qu’on passe à la deuxième, tu te dis “plus que 3 vies, ça va encore.” Et puis quand on t’annonce que la 2e ligne n’a pas l’air plus efficace, tu commences à flipper sévère. “Plus que deux et c’est game over”, ça fout les jetons. 

Et la gestion dans tout ça?

Ben justement, j’y viens. Un truc qui est difficile avec le cancer, c’est que tu es surtout spectateur de ce qui se passe. Ma pote Pascale – bisous en passant, choupi – me disait tout à l’heure “tu acceptes d’absorber des trucs de fous qui te rendent malade dans un but potentiel de guérir et tu dis que tu ne fais rien?” Ben non, techniquement, à part me rendre à l’hosto et en revenir, je ne fais pas grand chose. Alors oui, c’est sûr, il y a un aspect « mental » qui n’est pas évident, parce qu’il faut parfois beaucoup de courage pour accepter d’aller te faire injecter des trucs qui vont te rendre malade pendant des jours et fatigué en permanence. Mais ce qui est dur, c’est ce sentiment d’impuissance. À part accepter le traitement, je n’ai pas beaucoup de prise sur ce qui se passe. Je suis tributaire de la réaction des métastases aux produits de chimiothérapie, et je n’ai pas l’impression de pouvoir faire grand chose. Endurer les effets secondaires aussi bien que je peux, et dormir beaucoup pour rester en forme, c’est un peu maigre. 

Accepter, et espérer

Du coup, j’ai décidé de me concentrer sur la seule chose à ma portée (et encore!): le moral. Par exemple, j’essaie d’apprendre à accepter que j’ai peur de mourir, au lieu de blaguer bêtement sur le sujet dix fois par jour. Mieux vaut tomber le masque, et accepter cette angoisse. Dans l’absolu, la mort ne me fait pas peur, j’ai fait la paix avec cet aspect-là des choses. Mais j’aimerais autant que la Grande Faucheuse me rende visite dans 20, 30, ou même 50 ans, pas dans les 5 années à venir! Pour être plus exact, j’ai peur d’être condamné. De passer par toutes ces épreuves pour rien, de brûler cartouche après cartouche pour quand même me retrouver en soins palliatifs ou dans une démarche d’euthanasie. Ca, c’est une peur qui me tétanise littéralement. J’ai cru que je pourrais la tenir à distance en faisant comme si le jeu était déjà joué, et en blaguant sur ma mort prochaine. Ca fait mal à mes proches, ça met tout le monde mal à l’aise, et ça ne me fait pas gagner grand chose en sérénité. J’en reviens donc à cette bonne vieille recette du petit bouddhiste amateur que je suis: accepter et lâcher prise. Oui, j’ai peur de ne plus avoir d’autre issue. Et accepter cette peur me permet à nouveau d’espérer. 

Que cette année vous comble et voie vos voeux s’exaucer. Pour ma part, je sais ce que j’aimerais qu’elle m’apporte. Et je choisis d’espérer qu’elle me l’apportera.