Le cancer est parfois une leçon de vie. Il nous apprend par exemple à changer notre rapport à l’incertitude et au temps. Particulièrement entre le début d’un traitement et les premiers résultats.
Si tu suis ce blog attentivement, tu sais que nous avons déjà pas mal parlé de l’incertitude. Elle est en effet omniprésente chez les patients du cancer. À court terme déjà, parce que l’attente des résultats après chaque examen est angoissante. À long terme, aussi parce qu’il est difficile de ne pas penser que la mort est au bout du chemin. Mais elle est aussi là à moyen terme, parce qu’il faut du temps avant de pouvoir mesurer si un traitement porte ses fruits.
Vivre dans l’attente
Prends par exemple la chimiothérapie. Il faut souvent du temps entre le début des traitements et les premiers examens qui permettront d’évaluer l’efficacité du traitement. Dans mon cas, mes chimiothérapies ont lieu toutes les deux semaines. Forcément, les résultats ne se voient pas tout de suite. Du coup, mon oncologue fait un test après quatre séances pour évaluer les progrès. La nature du test dépend un peu de l’étape où on se trouve. En début de traitement, une résonance magnétique – IRM – et une prise de sang pour doser les marqueurs tumoraux, c’est assez courant. Mais l’IRM n’est pas systématique. Parfois, je passe au PET-scan pour confirmer ou affiner le diagnostic posé après l’IRM. Quatre séances, à raison d’une séance toutes les deux semaines, ça fait donc deux mois. Deux mois durant lesquels on ne sait pas si ça “marche” ou pas.
Un exemple en détails
Derrière l’attente, la nouvelle. Parfois, elle est bonne, et ça fait du bien. Parfois, elle ne l’est pas, et c’est plus difficile à gérer. Prends l’évolution depuis ma récidive. On démarre le traitement quelque part en octobre 2019. Après deux mois, ça a plus ou moins l’air de fonctionner. On poursuit, et les nouvelles sont chaque fois positives. Jusqu’à l’excellent verdict final début mai 2020, un peu plus de six mois après le début de la chimio: c’est fini, on ne voit plus rien au scanner. Champagne!
L’attente recommence forcément, mais autrement. La question, en effet, c’est “combien de temps ça va durer, ce répit”. Les résultats varient: parfois, c’est quelques mois, parfois plusieurs années. Donc, il y a des contrôles. Le premier a lieu deux mois après la fin des traitements, donc début juillet. Et là, PAF, coup de massue: ces saloperies de métastases sont revenues.
Nouveau traitement, donc. Et donc deux mois d’attente pour les premiers résultats. Nous voilà fin septembre 2020. Les résultats ne sont pas bons: le protocole de chimio ne semble plus fonctionner. Du coup, on décide de changer. Et à nouveau, c’est parti pour deux mois d’attente. Fin novembre, le bilan est très mitigé: les métastases n’ont pas grossi, mais elle n’ont pas rétréci non plus. Du coup, on tente deux nouvelles séances avant de refaire un bilan. Soit un mois d’attente. Mi-décembre, les résultats de la prise de sang sont encourageants: petit diminution des marqueurs tumoraux. Mais évidemment, il faut poursuivre et tester. Nouvelle attente, avant des tests dont les résultats seront connus début février. Wait and see, mais les perspectives semblent moyennes d’après les premières analyses. Bon, après, tu me connais, mon frère ou ma soeur en cancer. Je ne suis pas du genre à m’apitoyer, donc arrêtons de parler de moi.
Apprendre à lâcher prise
L’important, dans tout cette histoire, c’est que le cancer est une formidable leçon de lâcher prise. Un ré-apprentissage de la patience et de l’incertitude. J’ai envie de croire que c’est une bénédiction, dans un sens. Dans une société où tout va de plus en plus vite, c’est une occasion de réapprendre deux choses:
- La patience: lorsqu’on entame un traitement, il faut attendre avant de pouvoir mesurer les résultats. Et l’attente peut être longue.
- Le lâcher prise: face à cette difficulté, il faut arriver à accepter à vivre sa vie malgré cette incertitude. À prendre des décisions, pour le futur proche et le futur lointain, pour continuer à vivre pleinement.
En cette époque de pandémie, ce message vaut pour toutes et tous, pas juste pour les malades du cancer et leurs proches. Oui, la situation est difficile, et les autorités ne semblent pas maîtriser la situation. Oui, c’est difficile de vivre l’incertitude dans laquelle nous sommes: jusque quand ce confinement qui ne dit pas son nom va-t-il durer? Les mesures prises sont-elles efficaces? Que nous réserve l’avenir?
Attendre sans savoir n’est pas facile. Mais c’est possible. Nous pouvons tous y arriver. En tant qu’espèce, nous avons vécu des dizaines de milliers d’années avec un rapport au temps et à l’incertitude très différent de celui que nous avons aujourd’hui. Ce rapport est inscrit au plus profond de nos gènes. Nous avons les capacités de gérer les conséquences de cette situation difficile. Ne l’oublie pas, chère lectrice, cher lecteur. Et garde espoir. Si moi j’y arrive, tu le peux aussi.