Plus le temps passe, plus je réalise que le choix des mots a son importance. Pas pour des questions de sémantique, bien sûr. Mais je pense que les mots que nous employons face à la maladie nous définissent. Et nous influencent. 

Pendant longtemps, ce petit coin de la toile s’est appelé “le blog d’un cancéreux”. D’ailleurs, j’avais tendance, de manière générale, à me désigner moi-même sous ce vocable. Puis, il y a quelque temps, je me suis mis à réfléchir: est-ce réellement le bon terme à employer? Ne revient-il pas à laisser la maladie définir qui je suis? À en faire une partie de mon identité? 

Les mots définissent notre réalité

Depuis Georges Orwell et la novlangue, nous savons à quel point les mots sont importants. Ils nous permettent de décrire le monde qui nous entourent, mais ils ne sont pas neutres. Pour moi, dire “je suis cancéreux” ou “je suis un cancéreux”, ce n’est pas la même chose que dire “je suis atteint d’un cancer”. Dans le premier cas, je laisse le cancer définir (une partie de) mon identité. Dans le second, le cancer est un agent externe qui m’affecte contre mon gré. En tout cas, c’est ainsi que je le vois. 

De la même manière, qu’un patient dise “je suis condamné” a une toute autre tonalité que “les médecins pensent que je suis condamné”. Factuellement, le second est plus correct que le premier. Et puis surtout, le premier résonne comme une certitude, une absence totale d’espoir. Or, il existe des guérisons spontanées, des rémissions inexpliquées. Et il existe toujours la possibilité d’être recruté pour un essai clinique d’une molécule qui finira par le guérir. 

Garder notre libre arbitre

Parfois, je me demande si j’exagère. Mais je pense que ce n’est pas le cas. Comme je l’ai déjà dit, le cancer est une maladie terrible, dans le sens où le patient est totalement impuissant. Il est le champ de bataille sur lequel s’affrontent la maladie et la médecine. Dans cette situation, il est difficile de ne pas tomber dans un certain fatalisme. Et le fatalisme commence par les mots. Les mots, à force de les employer, influencent notre mental. Or, le mental est une des seules armes encore à la disposition du patient. Alors, ne nous laissons pas enlever notre libre arbitre par un usage inconsidéré des mots. Réfléchissons aux termes que nous employons, pour conserver notre liberté et ne jamais nous laisser aller à la passivité.