Si tu visites régulièrement ce coin de toile, tu sais sans doute que j’ai une dent contre les gens qui disent « bats-toi » à un cancéreux. Et bien, crois-le ou non, j’ai changé d’avis. Mais tout dépend bien sûr de quel combat on parle.
Lorsque j’ai repris ce blog après deux ans de silence, c’était pour faire aveu d’impuissance. Face aux récidives, il me devenait difficile de trouver l’énergie et la motivation pour continuer à avancer. Une envie de tout laisser tomber qui ne me ressemble pas, mais avec laquelle il fallait pourtant composer. J’ai cherché, cherché, cherché, toujours en vain. Jusqu’à ce que Koen, un de mes frères en cancer, m’appelle en pleine détresse.
Un bienfait ne reste jamais impuni
Ca a commencé par un petit message sur Whatsapp: « Le foie n’est plus kasher ». Moi: « le tien? ». Lui « Ouaip ». Juste après, mon téléphone se met à sonner. C’est lui. Il est dévasté. Tu penses! Un an qu’il était passé par un calvaire un peu similaire au mien, l’opération du foie en moins. Il avait eu la chance de repérer sa tumeur avant qu’elle ne se mette à essaimer. Du coup, pas de métastase. En revanche, des complications après l’ablation de la tumeur, et la vie merveilleuse avec une stomie. Bref, il en avait bavé, et jouissait depuis un an d’une belle période de rémission. Et là, au dernier contrôle, PAF! Des métastases dans son foie. Ca nous pend tous au nez, mais ça fait mal quand ca arrive.
Parler avec lui m’a ramené aux premières heures de mes deux récidives. Je ne connais que trop bien le sentiment de découragement, le désespoir qui s’insinue dans la faille ouverte par ce moment du vulnérabilité. « Ne lâche rien » a été mon premier conseil. À quoi il a rétorqué: « t’inquiète, c’est pas ça le problème. Je vais faire mes chimios, je vais faire tout ce qu’il faut. Si mon oncologue me dit qu’il faut boire un litre d’essence pour que ça passe, je le boirai. » Et il a raison. Pour beaucoup de cancéreux, ce n’est pas ça le problème. Bien sûr, certains renâclent devant les traitements, ou perdent l’énergie de les affronter, et c’est terrible quand ça arrive. Mais je pense que nous sommes bien plus nombreux à faire ce qu’il faut, ou plus exactement à subir ce qu’il faut. Le problème est ailleurs.
Je n’avais pas réussi à trouver une solution à ce désespoir, à cette résignation qui s’était emparée de moi. Mais écouter Koen me raconter sa peine, la même que la mienne, sentir son désespoir, le même que le mien, vouloir trouver une solution pour qu’il se sente moins mal, a fini par causer un déclic. C’est tout ce qu’il me fallait.
Le seul vrai combat
Je l’ai déjà dit dans d’autres articles, et j’en reste persuadé. Physiquement, le combat contre le cancer, ce n’est pas nous, les malades, qui le menons. L’affrontement a lieu entre les manifestations de la maladie – les tumeurs et les métastases – et l’équipe médicale. Le corps du patient, notre corps, n’est que le champ de bataille. Il subit les dégâts causés par le crabe, mais aussi ceux générés par l’offensive chirurgicale, radiologique ou pharmacologique. Pour nous, le combat est ailleurs.
Le combat, le vrai, celui dans lequel nous devons jeter toute notre énergie, se passe dans notre tête. C’est une lutte pour la survie de notre humanité. Une lutte pour le salut de notre âme. Une lutte dont l’objectif est clair: ne pas laisser la maladie devenir l’élément central de notre vie intérieure.
Cette lutte ne commence pas réellement dans la première partie de nos tribulations. En général, la première phase du cancer, le moment où le corps médical s’attaque à la situation initiale, est un combat programmé. Certes, le plan de bataille peut changer en cours de route, mais il existe. Et nous pouvons nous y raccrocher: c’est un tunnel, dont nous avons qu’il a une fin. Il est jalonné d’étapes plus ou moins dures à encaisser. Mais à un moment, il y a ce verdict: « ça y est, on a fini ». La tumeur a été enlevée, les éventuelles métastases ont suivi le même chemin. Les marqueurs sont redescendus et le PET-scan revient tout noir.
Le renoncement qui ne dit pas son nom
Durant cette première phase, nous avons projeté toute notre énergie mentale et émotionnelle vers un seul but: la guérison. Mais lorsque la récidive arrive, tout devient beaucoup plus flou. On ne sait pas combien de temps ça va durer, on ne sait pas si on va s’en sortir ou pas. On ne sait pas si ça va s’achever là ou si au contraire ça va devenir chronique. Et avec l’absence d’objectif, la longueur, l’incertitude, le crabe prend le dessus. Il devient notre unique obsession. Le truc qui nous définit avant tous les autres. Et ça, c’est le pire des renoncements. Bon, je dis « nous » parce que c’est ce que je vois chez moi, et que d’autres, dont ma sista Ingrid, m’ont confié vivre la même chose. Ca me rappelle un des conseils qu’une amie médecin, m’avait prodigués au début de mon parcours.
Fred, ça ne va pas du tout. Tu parles tout le temps de ton cancer. Tu manges cancer, tu bois cancer, tu dors cancer. Arrête. Fais autre chose. Concentre-toi sur un projet qui te fait du bien, un truc qui n’est pas ton cancer et auquel tu pourras te raccrocher.
Le meilleur conseil que j’aie jamais reçu, merci Flo!
À l’époque, j’avais suivi le conseil à la lettre et passé mon permis moto. L’examen théorique avant ma première opération, et les cours pratiques après ma deuxième opération. Le permis est arrivé quelques mois après la fin des hostilités contre le cancer.
Réapprendre à vivre
J’avais oublié cet épisode et ce précieux conseil. Mais parler avec Koen m’a rouvert les yeux. Notre combat, c’est de retirer le cancer de ce piédestal où nous l’avons nous même placé. Refuser de le laisser nous définir. Refuser de le laisser définir notre vie. Réapprendre à vivre vraiment: à avoir des projets, des envies, des espoirs. Et nous y investir autant que nous pouvons.
Bien sûr, je ne suis pas naïf. La maladie ne s’en ira pas par miracle. Elle va continuer à nous pourrir la vie. Comment pourrait-il en être autrement? Au moment d’écrire ces lignes, je ne le sais que trop. J’ai appris il y a quelques jours que les marqueurs tumoraux étaient repartis à la hausse malgré la chimio. Et passé une résonance magnétique. Je vois mon oncologue la semaine prochaine. Entre temps, il y a largement de quoi baliser, paniquer, me faire des scénarios du pire. Mais ça servirait à quoi? À redonner du pouvoir à cette saloperie. À la laisser redevenir mon unique préoccupation. NON!
Mes petits « trucs »
Je ne vais pas t’apprendre à avoir des projets, je ne suis pas coach de vie. Mais en revanche, ce que je peux partager avec toi, c’est ce que je fais désormais au quotidien pour remettre constamment le cancer à sa place: une préoccupation, certes importante, mais pas le centre de ma vie.
- arrêter du cancer LE sujet de conversation: désormais, quand un ami ou une connaissance me demande comment ça va, je parle de tout sauf du cancer: mes projets, mon business, mon couple, mes envies, mes indignations du moment… Et c’est top: je sens que ça me fait du bien, et que ça fait du bien à mes amis.
- avoir de vrais projets à long terme et s’y investir: j’ai un bouquin en cours sur le cancer avec mes deux complices, un blog à ressusciter, deux nouveaux blogs à créer, le site de ma boîte à finaliser, deux nouveaux projets de blog à mettre en route, un roman à écrire pour un pote (oui, je suis aussi nègre littéraire à mes heures perdues), une réflexion à mener sur l’expérience client et la définition des services…
- avoir de petits projets marrants à court terme: là, par exemple, je me suis lancé dans l’apprentissage d’une nouvelle langue. C’est marrant, ça me stimule, et en plus j’ai dans mon entourage quelqu’un avec qui pratiquer.
- me visualiser dans le futur, un futur défini par mes projets et mes envies, pas par la maladie.
- recommencer un vrai programme d’activité physique: déjà, c’est bon pour le corps et même pour lutter contre la maladie. Mais c’est aussi bon pour l’esprit. Parvenir à se tenir au programme malgré la fatigue, malgré les nausées, n’est pas tous les jours facile. Mais le petit kick qu’on ressent après avoir accompli son objectif du jour, c’est top!
Bref, avoir plein de choses à faire, de trucs positifs auxquels penser, d’envies dans lesquelles me projeter. Vivre à nouveau. Et on s’en fout du crabe.
Bonjour Fred. Ce que tu dis résonne fort chez moi. Bien que j’ai la chance infinie de ne pas être atteinte d’une maladie mortelle (en tout cas avec la peur au ventre de mourir rapidement si cela tourne mal), je suis atteinte de maladies chroniques. Ces maladies me mangeaient littéralement l’esprit. Je n’arrivais ni à penser, ni à parler, ni à agir en conséquence d’autre chose que de leur existence. J’étais mes maladies. C’est débilitant. Le meilleur conseil reçu a été également le » Fabienne, tu n’es pas tes maladies, tu ne peux pas vivre qu’en fonction de leur existence ». Depuis…j’ai parfois encore le symptôme mais j’arrive à me détacher en étant dans le projet. Je souhaite que les tiens soient très chrono- et spirituo- et physico-phages, positivement.