Au moment du premier diagnostic, beaucoup se disent “je vais mourir”. Je l’ai fait aussi. C’est normal, c’est humain, même si c’est très dur, surtout pour les proches. Parlons-en.
Une amie m’a récemment appris que ça maman venait de se prendre un diagnostic de cancer en pleine poire. Très vite, dans la conversation, elle m’a glissé avec inquiétude “elle n’arrête pas de me dire qu’elle va mourir”. Pas de panique, c’est une réaction normale.
“Je suis foutu(e) »
Tout le monde n’a pas nécessairement le même vécu, mais je connais d’autres cancéreuses et cancéreux qui se sont dit la même chose. Et c’est normal, tout est fait pour. Déjà, l’imagerie populaire ne nous aide pas. Au cinéma ou dans les séries, quand quelqu’un a une maladie grave, c’est toujours un cancer. Et on voit la personne, maigre, pâle et sans cheveux, allongée sans force dans un lit ou un fauteuil. En général, elle finit par mourir avant la fin du film ou après quelques épisodes. Avec de tels clichés, difficile pour un cancéreux (ou pour sa famille) de ne pas imaginer le pire. Dans la presse, même combat: des célébrités atteintes de ce mal, nous ne retiendrons que celles qui sont décédées. Il faut dire que “Machin, interprète de Truc dans le célèbre Brol est décédé hier après un long combat contre le cancer”, ça le fait plus comme news que “Bidule, interprète de Bazar dans le célèbre Chose, est toujours en vie 10 ans après son diagnostic.”
L’effet “retard” des statistiques
Les statistiques disponibles sur le cancer n’ont, elles n’ont plus, rien de rassurant. L’étalon de la statistique sur le cancer, le célèbre “chances de survie à 5 ans”, n’a déjà rien de réjouissant en soi. Déjà, le fait de parler de “survie”… Ca a l’air positif, vu du premier abord. Mais quelque part, “chances de survie”, ça fait un peu passer le message que si tu survis, ben c’est que t’as quand même bien de la chance. Bon, “probabilité de décès” ne ferait probablement pas beaucoup mieux, il faut bien l’avouer. Mais peut-être que parler d’abord de “guérisons” et de “rémissions” dans les statistiques avant de parler de mort serait un peu plus positif. Dire “il y a 80% de guérisons dans les 3 ans, et 60% de rémissions après 5 ans” (statistique inventée, je précise), ça ferait quand même mieux que de dire “les chances de survie à 5 ans sont de 60%”.
D’autant que la réalité est fort différente de cette image négative. En réalité, les gens meurent beaucoup moins du cancer qu’avant. Déjà, parce qu’on les détecte plus tôt, grâce aux efforts de dépistage. Ensuite, parce qu’on les soigne mieux: les techniques chirurgicales et radiologiques comme la pharmacopée ne cessent de s’enrichir chaque jour.
Et puis, les statistiques ont un “effet retard”. Elles partent de la mortalité des personnes décédées il y a plusieurs années. Dans la plupart des cas, elles ont eu leur diagnostic plusieurs années AVANT leur décès. Et donc, on se retrouve en gros avec des chiffres de mortalité pour des personnes qui ont été diagnostiquées il y près d’une décennie.
La prudence des médecins
À cela s’ajoute aussi le fait que les médecins préfèrent se montrer prudents. La plupart d’entre eux ne veulent en effet pas donner de faux espoirs à leurs patients ou banaliser une situation qui reste souvent préoccupante.
S’ajoute à cela qu’au début de la maladie, le médecin ne sait souvent pas de quoi il retourne. Le diagnostic initial est le résultat d’un premier test (une biopsie, un scanner, une prise de sang…). Il doit encore être confirmé et affiné par une batterie de tests complémentaires: quelle est l’étendue de la tumeur, s’est-elle déjà attaquée aux tissus alentours ou est-elle restée circonscrite à l’organe affecté au départ? Y a-t-il ou non des métastases, ou sont-elles situées, quelle est leur taille et combien sont-elles… Autant de questions qui nécessitent souvent plusieurs semaines avant d’obtenir une réponse.
Rien d’étonnant
Du coup, il ne faut pas trop s’étonner qu’une des premières idées qui passent par la tête du néo-cancéreux soit “Je suis foutu”. Ce n’est pas le cas de tous, mais c’est fréquent. Franchement, les premiers jours après mon diagnostic, j’étais dans un tel état de désespoir et de confusion que c’était vraiment difficile pour moi de comprendre quelque chose ou de rester optimiste. Surtout que, dans mon cas, les fameuses “chances de survie à 5 ans” étaient d’à peine 30%. 7 “chances” sur 10 d’y rester, autrement dit. L’optimisme, dans ces conditions, n’est pas toujours évident. Dans mon cas, ça fait 3 ans et 4 mois depuis le diagnostic et je suis toujours là.
Mais je ne peux pas dire que je n’y ai pas pensé: au moment du diagnostic initial, très certainement. Et puis au moment de la première récidive. Et de la deuxième. Et, par la suite, aux deux annonces du caractère infructueux des chimios entamées.
Il faut chaque fois un peu de temps pour se sortir cette idée de la tête. Et des efforts aussi. Dans mon cas, j’ai passé des mois et des années, même, à faire des blagues de plus ou moins mauvais goût sur ma mort prochaine. Une façon, sans doute, de gérer ma propre angoisse. Mais ça n’a pas aidé mes proches, ni contribué à les rassurer. Du coup, j’ai récemment décidé d’arrêter cet humour douteux.
Laisser le temps à l’espoir
Voilà, tout ça pour te dire donc, toi à qui on vient d’annoncer le cancer (et toi, proche d’un(e) néo-malade), que c’est une réaction normale. Ca va passer. Petit à petit, on reprend le dessus. Si je prends mon cas personnel, ça a commencé à se calmer une fois que le diagnostic a été définitivement posé et que mon oncologue m’a expliqué le planning des traitements. Tout à coup, on a un horizon auquel se raccrocher. Des dates, même approximatives. Des étapes, même si elles peuvent changer. La masse informe de l’avenir incertain se solidifie, et en devient moins effrayante. On n’est plus face au trou béant, mais à un chemin. Et même s’il est long, difficile et compliqué, c’est un chemin. Ya plus qu’à le suivre…
Courage!
Bonjour Fred,
On ne peut pas mieux dire -écrire- que vous… tout ce que vous écrivez je l’ ai vécu (sauf que je ne me suis pas rendu compte de la gravité de la situation à l’ annonce du diagnostic. Mon psy m’a même dit: « Nicole, on dirait que vous n’ êtes pas étonnée »… »). Je crois que j’ ai réalisé quand on a commencé les biopsies -les marquages « au noir de carbone » pour indiquer au chirurgien où est la tumeur – et le marquage à l’ encre rouge pour la radiothérapie. Et je n’ ai jusqu’ ici pas eu de récidive, donc j’ ai moins « morflé » que beaucoup d ‘autres.
Nous avons tous des images culturelles ou sociales des maladies. J’ ai été plus impactée quand on m’a découvert la sclérose en plaques en 2018… alors qu’ après deux années de traitement (3 injections/semaine), il s’ avère qu’il n’ y a pas de nouvelles lésions. J’ ai donc pu arrêter ces piquouses en mars de cette année (on vérifie dans un an si rien ne s’ est passé entretemps). La secrétaire de mon papa a eu la SEP. Quand mon père en a parlé, j’étais ado, et je me souviens que l’ atmosphère était grave et triste à la maison…
Mon frère est généraliste (il vient d’ arrêter: retraite) et je me souviens qu’ il m’a dit un jour: les radios, le diagnostic « ne font pas la maladie ». Les médecins sont prudents, voire alarmistes, comme s’ ils prenaient une assurance pour le futur, afin de pouvoir dire: « je vous avais prévenue’ plutôt que: « je suis désolé de n’ avoir rien vu ». Hier j’ ai vu mon neurologue (je dis « mon » car quand on a confiance en un médecin, on se l’ approprie un peu, il y a un lien qui se crée … ou pas, des fois). Une nouvelle fois, et comme le neurochir qu’il m’a envoyée consulter, il m’a parlé du risque de finir en chaise roulante (« avec des langes » pour le neurochir, pas avare de franchise!) au vu de l’ état « en bambou » de toute la colonne vertébrale (je me demande comment vous savez encore marcher…). Et pourtant, il admet ensuite que l’ examen clinique est plus positif que ce que montre l’ IRM. Malgré le fait qu’ il soit « cash », je l’ apprécie car nous parlons aussi chiens, chevaux, et qu’il a une façon de se rengorger quand il parle de ses trois petites filles … qui me touche.
La franchise brutale, de même que le déni, sont autant dommageables à notre moral.
Vous avez sans doute expérimenté vous-même des remèdes qui vous soulagent, alors que les livres de médecine n’ ont jamais établi aucun lien entre le remède X et votre pathologie… On vous dit: » ce n’ est pas possible, ce médicament n’ est pas fait pour ça ».
L’ Homme de l’ art ne vous croit pas. Il ne met pas votre souffrance en doute (car les clichés attestent son existence ou les conditions de son existence) mais si vous prétendez que la molécule « Perlimpimpin » vous fait du bien, vous êtes un mythomane (pour moi, je réagis super bien au paracétamol, tout simplement). Ce n ‘est pas la mort dont vous parlez dans votre message ci-dessus qui se profile à ce moment-là, mais la « mort symbolique » d’ une porte de sortie que vous entrevoyez à vos douleurs quotidiennes, à votre dépression, à votre peur.
Je fais plus que comprendre tout ce que vous décrivez, je le partage intimement.
Encore une fois, désolée d’ être aussi bavarde. C’ est mon jour: je viens sans doute de « casser les bonbons » à mes amis sur FB avec un lien vers un reportage sur Arte: « Juifs et musulmans, si loin, si proches », qui permet de s’ y retrouver un peu mieux dans tout ce qui se passe là-bas (racines historiques etc..;).
Et bien, je vais aller manger un bout puis tenter de réchauffer mes pauvres tomates, salades et autres légumes pour les inciter à pousser un peu …
A bientôt